Concours de nouvelles noires - FIRN 2021

Les géographies du roman noir

de la ville et des champs

 

 

La Fabrikulture félicite tous les participants et plus particulièrement les quatre lauréats de ce concours d’écriture 2021.

Nous tenons à remercier chaleureusement les membres du jury conduit, de main de maîtresse, par Jocelyne Fonlupt-Kilic : Sylvie Castellan, Line Cross, Marie Faillat et Monique Nicque. Les délibérations se sont faites sans effusion de sang, fin indigne pour un Festival International du Roman Noir.

 

Le palmarès

 

 

La mort de Socrate - Michèle Dross Premier prix - Catégorie Adultes

 

Un mensonge de nuit d’étéBernard DelmotteDeuxième prix - Catégorie Adultes

 

Meurtre sous hautes fréquences - Jacqueline Thouement - 3ème prix - Catégorie Adultes 

 

Ombres et lumières  -  Arthur Nicque - Prix spécial – Catégorie Jeunes

 

La lauréate et ses gardes du corps

P U B ! Le livre est en vente 7€ hors frais d'expédition ! Réservez-le ! On se l'arrache déjà !

Short Edition

 

Michèle Dross a remporté den 2020, le concours d'écriture de conte à l'occasion de la sortie du film Le prince oublié.

 

Pour écouter cette histoire dite par Omar Sy, suivez ce lien :

 

https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/le-prince-oublie-et-la-sorciere-malfaisante-1

 

 

Le prince oublié et la sorcière malfaisante

 

Anna avait huit ans et elle adorait les histoires ; les histoires qu’on lui racontait, et celles qu’on lui lisait. Elle n’était jamais fatiguée de les écouter et de rêver à partir des images des livres. Mais dès qu’elle essayait de lire, les lettres commençaient à tourner, à jouer à saute-mouton pour se mélanger, et à se placer tête-bêche pour qu’on ne les reconnaisse pas.
Comment voulez-vous arriver à lire dans ces conditions ? C’était comme un mauvais sort qu’une terrible magicienne, une sorcière malfaisante, aurait jeté à la petite fille en se penchant sur son berceau.

Or la semaine précédente, la maîtresse avait décidé que chaque élève de sa classe devait lire à la maison un chapitre entier du livre qu’elle leur avait donné. Anna avait regardé l’illustration de couverture : un prince avec un pourpoint rouge et un ridicule chapeau à plumes vertes. Ce prince ne lui disait rien qui vaille. La petite fille avait refermé le livre et l’avait glissé dans son sac à dos où elle avait essayé de l’oublier durant toute la semaine.
Le dimanche soir pourtant, il n’était plus temps de reculer, il fallait faire les devoirs et Anna ressortit le livre. Horreur ! l’image du prince s’était effacée, et les pages du livre, qu’elle tournait fébrilement, étaient devenues blanches !

— Anna, lui dit doucement sa grand-mère, tu as voulu l’oublier trop fort, et ton prince est parti sur l’Île aux Oubliés. C’est là que vont les chansons qu’on ne chante plus, et les livres que personne ne lit… Si tu veux retrouver ton prince, c’est là-bas que tu dois le chercher, sur l’île où soufflent les quatre vents, tout droit vers le soleil couchant. Le chemin est long, difficile et semé d’embûches, et tu dois partir seule. Auras-tu le courage et la persévérance d’aller jusqu’au bout ?

Anna se mit en chemin, droit vers l’ouest. En traversant le bois de pins, elle aperçut trois pies qui poursuivaient un écureuil. Le petit animal acculé sous un buisson n’osait s’en dégager pour gagner les arbres.
— Ouste ! cria Anna en agitant les bras.
Elle s’élança, et les pies s’envolèrent.
— Merci, dit l’écureuil en montrant son museau sous les branches basses. Confiant, il sauta gracieusement sur l’épaule de la fillette, sa queue rousse recourbée en point d’interrogation.
— Tu m’as sauvé, petite fille. Je te donne cette noisette. Là où tu vas, elle te servira.  

En passant près d’un champ de blé fraîchement moissonné, Anna aperçut une souris menacée par une buse. Elle chassa l’oiseau de proie.
— Prends ces trois grains de blé, couina la souris encore toute tremblante. Là où tu vas, ils te serviront.  

Anna marcha longtemps, et arriva enfin au bord de la mer.
Quelque chose sautillait maladroitement sur le rivage. C’était une mouette. Elle s’était laissé prendre à la ligne d’un pêcheur, en gobant le poisson-appât que tirait le bateau. La ligne s’était cassée, mais l’oiseau ne pouvait dégager son bec.
La petite fille délivra la mouette, qui lui confia une de ses plumes blanches :
— Tu n’auras qu’à la jeter au vent, cria-t-il en s’envolant. Là où tu vas, elle te servira.

Le soleil orangé se couchait sur la mer, les petites vagues commençaient à se franger d’écume…  
Comment faire pour gagner l’Île aux Oubliés ?  
Le vent qui tourbillonnait fit frissonner la petite fille. En mettant les mains dans les poches de son anorak pour les réchauffer, elle sentit, sous ses doigts, les petits trésors offerts par les animaux qu’elle avait secourus. Elle les sortit pour les regarder… Lequel pourrait bien lui venir en aide ?  
Le vent choisit pour elle. Il souleva la plume. Tout à coup, Anna sentit ses bras se tendre comme deux ailes, se trouva soulevée, emportée elle aussi, comme une plume au-dessus des flots, et déposée, en douceur, sur le sable de l’île.  

La plage était étroite, et face à la mer s’élevait une haute falaise sombre, striée de blanc. Les oiseaux de mer qui nichaient dans les trous s’étaient tus. Il n’y avait aucun chemin pour monter au sommet ; cependant, çà et là, les rochers offraient quelques prises.
Anna était sujette au vertige. L’idée de tenter l’escalade ne lui souriait guère. La nuit allait bientôt tomber ; la petite fille ne pouvait pas rester au bord de la mer sans abri. Elle pensa au cadeau de l’écureuil, brisa la coque de la noisette entre deux galets et croqua le petit fruit sec. Aussitôt, elle se sentit pleine de courage et grimpa la falaise comme un petit écureuil agile.  

Au sommet se dressait un immense château.  La nuit était à présent complètement tombée ; derrière les hautes tours, les premières étoiles s’allumaient dans le ciel. Au fond de sa poche, Anna caressa les trois grains de blé… Si elle-même était souris, peut-être pourrait-elle entrer dans le château ? Elle mâcha les grains de blé. Aussitôt, les murailles lui parurent grandir vertigineusement. Anna était devenue petite, petite comme une souris et elle s’aperçut que ses yeux étaient capables de voir dans le noir. Elle chercha et trouva le trou qui lui permettrait d’entrer, puis trottina le long des murs, comme une petite souris silencieuse…

Elle traversa des salles immenses, celle des violoncelles et celle des pianos, où les feuillets jaunis des vieilles partitions s’entassaient sous la poussière, où les touches des pianos jouant tout seuls lâchaient parfois quelques notes mélancoliques. Même l’air qu’elle respirait semblait fané, comme ces odeurs passées de vieille poussière, de rose, de pomme ou d’iris…
Elle entrevit des salles et des salles tapissées de livres, où chevaliers et princesses minaudaient et se faisaient des signes d’un bout à l’autre de la pièce, pendant que les dragons soufflaient piteusement avec de petits plops des jets semblables à la flamme d’une allumette… Dans les salles voisines, d’invraisemblables vaisseaux spatiaux tournaient en orbite autour de planètes inconnues et des trolls ou des gnomes grimaçaient sur les livres de fantaisie…  

Les petites jambes d’Anna étaient fatiguées ; si elle avait été vraiment une souris, elle aurait bien grignoté une page de livre ou deux, histoire de retrouver des forces.  
Ne trouverait-elle jamais la salle des contes ?
Elle y arriva enfin.  
Là, juste devant elle, et parmi des centaines de princes, elle reconnut le sien, avec son pourpoint rouge et son chapeau à plumes, celui-là même qui s’était effacé de son livre et qu’elle était venue chercher.  
— Oh, Princesse… soupira-t-il, êtes-vous là pour me sauver ? Me donnerez-vous un baiser ? Acceptez-vous de m’épouser ?
— Nous n’avons pas le temps ! jeta-t-elle très vite, d’ailleurs je ne te connais pas et je ne veux pas me marier. Viens vite, si tu ne veux pas être tout à fait oublié !
— Comment pourrai-je jamais vous remercier ? 

C’est alors qu’un éclair de feu zébra la pièce.  
Comme dans les contes, la Sorcière malfaisante apparut dans un nuage de fumée et éclata d’un rire sinistre, en tendant vers Anna sa main aux doigts crochus. Et comme dans les contes, n’écoutant que son courage, le prince tira son épée, puis trucida la sorcière d’un seul coup.  
Soudain, les lettres qui dansaient sur les pages des livres retrouvèrent leur place, s’agencèrent en mots et en phrases qui racontaient des histoires, et Anna se retrouva dans sa chambre.  

Sur la couverture du livre qu’elle avait jeté sur son petit bureau, le prince était là, dans son pourpoint rouge. Anna crut apercevoir, sous les plumes vertes, l’ombre d’un clin d’œil.  

Alors, elle s’installa commodément, à plat ventre sur son lit, elle ouvrit le livre et commença à lire.

 

Dis-moi dix mots de la langue Française

 

En cette année 2019, c'est Michèle Dross qui a été honorée par le jury de la Société laïque de lecture de Frontignan.

 

 

Déclaration d'amour

 

Moi qui suis tout à fait perdu sans mon ordinateur, j'ai cherché une feuille de papier et un stylo à bille.

Voilà maintenant des heures que je peine, et la corbeille déborde de papiers froissés couverts de gribouillis…après tout ce gâchis, c'est sûr, je ne pourrai plus jamais regarder un arbre dans les yeux.

- Ecrivez ! a suggéré mon médecin ; écrivez donc votre déclaration d’amour, c’est la meilleure solution…Allons, du courage,  il faut sortir de votre coquille !

J'avoue que parler me terrifie : le téléphone est pour moi un engin de torture, et j’ai peur de bégayer…

- Composez votre lettre, a poursuivi allègrement mon thérapeute, et écrivez en cursive, c’est si romantique…surtout n'utilisez pas votre ordinateur !… Pourquoi ne pas ajouter un dessin agrémenté d’un phyllactère, vous savez la petite bulle qui fait parler les personnages des bandes dessinées ? Ou bien, plus mystérieusement, un rébus ? Il n’y a pas de honte ! De grands artistes, des poètes s'y sont essayé avant vous !

 

Hélas, je dessine encore plus mal que je n'écris...

Des souvenirs anciens, bribes de cours de français depuis longtemps abolis, dansent dans ma mémoire :

« Eh bien, écrivons-la cette lettre d’amour

Que j’ai faite en moi-même

Et refaite cent fois...de sorte  qu'elle est prête...

Et que posant mon âme à côté du papier,

Je n’ai tout simplement qu’à la recopier… »

 

 

« Et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée...

et mainte feuille blanche entre ses mains froissées

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers… »

 

Ah...quels mots magnifiques...Mais rien n'est aussi simple, et les vers les plus doux sur mes feuilles froissées ne veulent pas venir...

Allons, soyons efficace… Trouver une nouvelle feuille de papier, puisque j’ai gaspillé un bloc entier, écrire à ma bien aimée quelques phrases sincères, l'adresse sur l’enveloppe, coller le timbre, et hop ! Mettre ma lettre à la boite. Demain elle la recevra.

Ce n’était pas si difficile après tout…

 

Catastrophe ! J’ai oublié de signer ma lettre ! Elle ne saura jamais qui la lui a écrite...

 

Mais réflexion faite, c’est peut-être mieux, car je crois bien que j’ai utilisé une feuille ornée du logogramme de mon entreprise: un petit cochon sympathique en train de rire dans un coin…Il n’y a vraiment pas de quoi !

 

 

 

C'est Monique Nicque  qui se distingue en 2019 par deux  pieds palmés à l'occasion du concours de nouvelles des Automnales de Sète. Le thème en était : Une lettre à la mer.

Elle a obtenu le 2ème prix. Et oui, elle essaiera de faire mieux la prochaine fois !

 

Voici sa nouvelle : 

 

La mission d’Uncle Bubble

 

Le samedi, c’est rugby à la télé. Chez les Sablé, on a l’habitude de se réunir, entre fans du ballon ovale, chez l’un ou chez l’autre. On regarde le match et après on mange. On couche les gosses et on poursuit les discussions jusque tard dans la nuit.

Aujourd’hui, c’est Loïc qui reçoit. Il est presque 23h. Les lumières de la cuisine sont éteintes. Dans le salon-salle-à-manger, les livres ont déserté les bibliothèques ; à leur place, Loïc a rangé les doudous et les premiers jouets d’Ulysse. A 7 ans, il a d’autres centres d’intérêt, disons plus numériques. Loïc désormais ne veut plus lire. Même s’il le voulait il ne pourrait pas. Impossible de se concentrer sur une intrigue fût-elle très bien ficelée et admirablement écrite. D’ailleurs, maintenant, les livres, il les déteste. Autour de la table, on a fini de refaire le match de la finale.  Maintenant on murmure pour ne pas réveiller les petits qui se partagent les quatre lits de la maison. On évoque le passé, quand Jeanne était encore là. C’est souvent le souvenir de Jeanne qui clôt les conversations quand ils sont tous réunis. Elle manque.

Alors que les cousins dorment comme des bébés qu’ils sont, dans l’obscurité du couloir, Ulysse avance. Il s’était levé pour aller faire pipi mais il a entendu le prénom de sa maman.  Il rampe maintenant vers la lumière. Il s’arrête juste avant que le halo ne le dénonce aux adultes. Faut qu’il puisse écouter, jusqu’au bout. Ulysse aime qu’on lui parle de sa maman mais ce n’est facile pour personne. Si jamais il pose une question, les yeux se mouillent, les lèvres tremblent, on change de sujet. Il n’y a que Mamie Valérie qui accepte d’en parler. Elle raconte si bien l’enfance de sa fille, ses bêtises, souvent les mêmes mais qui ont toujours autant de succès auprès de l’enfant, ses chamailleries avec ses frères, le mariage, la robe blanche et tout le tralala, la naissance d’Ulysse… Tu sais que toi tu étais le plus beau bébé du monde ? A dix mois tu marchais déjà sans avoir la moindre dent. On ne peut pas tout faire à la fois. Comme ta maman était fière de toi ! Et là, les lunettes s’embuent. Toujours. Mamie Valérie se tait. Comme toujours. Ulysse n’a jamais su comment sa mère était morte. On lui a juste dit qu’elle était partie et qu’il n’y était pour rien, que ce n’était pas sa faute.

Mais ce soir, peut-être parce que Thierry, le frère de Jeanne, qu’on n’avait pas vu depuis longtemps, est venu d’Aubenas, peut-être parce que tout le monde croit qu’Ulysse est profondément endormi, les bouches racontent et les oreilles de l’enfant écoutent. Ses yeux s’ouvrent grand dans la nuit du couloir parce que ce qu’il entend ressemble à un de ses cauchemars, de ceux qui le réveillent en nage, assis sur son lit, de ceux qui le font crier jusqu’à ce que son père vienne l’apaiser. C’est d’ailleurs lui qui raconte, ce soir : Jeanne qui marche sur le sable mouillé d’Arcachon, Ulysse qui a soufflé ses deux bougies, la veille, et qui dort sous le parasol. Lui, plongé dans un roman, au point d’en oublier ce qui l’entoure. Ils sont seuls sur la plage, en ce jour de septembre. Le ciel est gris. La mer est calme. Mais seulement en apparence. Une méchante vague vient happer les pieds de Jeanne. Elle n’a jamais réussi à apprendre à nager. Pas même avec des cours particuliers, pas même avec Loïc. Elle était pourtant allée voir un psy ! Tu parles ! La mer l’entraîne tout là-bas, au-delà des épis…

Ulysse met ses deux mains sur ses oreilles. Il ne veut pas entendre la suite. Revenu dans sa chambre, il se met au lit, sans allumer la lumière. Il n’a même pas le cœur à jouer à la légende de Zelda sur sa Switch. Il ferme très fort les yeux. Ne veut plus rien voir, plus rien entendre. Ne plus penser. Surtout ne pas inviter ces maudits cauchemars qui prennent, toutes les nuits, du plaisir à évoquer la disparition de sa maman, tour à tour poursuivie par un Octorock armé d’une hache, brûlée dans un incendie, avalée par un Blob ou enlevée par un chevalier masqué…

Il veut oublier les images que son père lui a collées dans la tête et qui ne sont pas meilleures que ses visions nocturnes. Il se met à réciter toutes les poésies qu’il a apprises à l’école, les tables d’addition et même les départements : 1 l’Ain, 2 l’Aisne, 3 je sais plus, 4, 5, et 6 les Alpes, 7 l’Ardèche… ça, je connais, c’est là qu’est née maman…

Et voilà qu’il y repense : le sable mouillé, les pieds nus de sa maman, la vague qui vient la chercher et qui l’emporte loin, très loin. Il voudrait crier pour qu’elle la lâche, la ramène gentiment sur le sable, sous le parasol, tout près de lui, là, dans la chambre, assise au bord du lit, à lui lire une histoire comme tatie Christiane quand elle vient en vacances. Mais il se tait, il prend sur lui sinon il ne serait pas un vrai Kokiri !

Dans la salle à manger, on tire les chaises, on récupère la marmaille, on s’embrasse, on s’en va. Les lumières s’éteignent. Loïc ouvre la porte de la chambre d’Ulysse. Rien ne bouge, tout va bien. Il va se coucher sans savoir que rien ne va plus.

Tout est calme maintenant sauf la tête d’Ulysse. Il ne peut pas rester là sans rien faire. Ce ne serait pas digne d’un Kokiri ! Il faut qu’il la retrouve comme Link retrouve Zelda. Il faut qu’il oblige la vague à la lui ramener.

II allume sa lampe de chevet, glisse sans bruit à son bureau, arrache une feuille à son cahier de brouillon et écrit, au crayon :

Si ta su en porter ma maman, tu doua savoir la ramener.

Ulysse.

Il renverse son cartable sur son lit, roule la feuille, la glisse dans le bidon rouge d’Uncle Bubble, inutile depuis longtemps, visse le bouchon, le plus fort possible. Il est satisfait. A toi de jouer, Uncle Bubble ! Si le produit de tes bulles ne pouvait pas s’échapper, l’eau ne pourra pas rentrer. Et hop dans le sac !

Le voilà prêt. Il a enfilé sa tunique verte et vissé, sur sa tête de héros, son chapeau pointu. Il ouvre la fenêtre et saute dans le jardin. Link aussi n’aurait même pas peur !

La rue est déserte dans ce quartier résidentiel. Ulysse marche vite, il faut qu’il remplisse sa mission au plus vite. Qu’il revienne à la maison avant que la ville s’éveille, avant que son père s’aperçoive de sa disparition. Il passe devant la clinique St Michel - c’est là qu’on l’a opéré des végétations -, descend le faubourg La Capelle, longe le mur du lycée Michelet. Les arbres incrédules chuchotent comme pour commenter le voyage de l’enfant solitaire. Une silhouette se dessine, au loin, peut-être celle d’un Blob ou d’un Octorock. Ulysse se plaque dans l’ombre d’un porche et attend.

Il connaît bien le chemin. Il le fait souvent pour aller s’entraîner à Sapiac ou voir l’équipe de Montauban quand elle joue ‘à la maison’. Mais là il ne va pas au stade. Il continue tout droit : la cathédrale, le musée Ingres et enfin le Pont vieux. Il aurait préféré apporter sa lettre jusqu’à la mer, cela aurait été plus sûr, moins de risque qu’Uncle Bubble soit avalé par un Zora, un de ces hommes-poissons, ou qu’il s’immobilise dans les herbes des berges… Mais la mer, c’est loin de Montauban et en plus il a confiance en Uncle Bubble. C’est pour ça qu’il va le jeter au Tarn. Avec la classe, il a pris le car, un jour pour aller jusqu’à Castel, là où le Tarn rejoint la Garonne. La maîtresse a expliqué que la Garonne, grossie des eaux du Tarn, descend jusqu’à la mer. Uncle Bubble ira, lui aussi, jusqu’à la mer. Il remplira sa mission. Après, la vague saura ce qu’il lui restera à faire.

Le trottoir du pont vieux est tapissé de cadavres bleutés d’éphémères qui se sont brûlé les ailes à la lumière des lampadaires. Ulysse les connaît bien ces papillons et il rechigne à les piétiner. Il sait que pour la plupart, ce sont des femelles ; après leur vie d’adultes, de seulement quelques heures, elles pondent et meurent.

L’enfant regarde le tapis bleu et repense à sa mère. Elle aussi est morte peu après lui avoir donné la vie. Mais elle, elle va revenir, la vague va la ramener. Foi de Link ! Il court jusqu’au milieu du pont, sort le bidon de son sac, monte sur la rambarde et lâche son trésor.

Il a juste le temps de voir, à la lueur de la lune, le bidon rouge d’Uncle Bubble plonger et rejaillir de l’eau noire du fleuve, avant d’être emporté, cahin-caha, par le courant.

Maintenant, Ulysse-Link n’a plus qu’à attendre. Il refait le trajet inverse, le cœur en paix même s’il sait que tout ça, c’est pour du faux.

 

 

 

 

Une palme spéciale 'Fabrikulture ' a été descernée par la Fabrikulture elle-même à Christiane Caunes (pseudonyme : Krikri), pour sa nouvelle, A toi ma mer.

 

 

 

A toi, ma mer

 

Souviens-toi, ma mer…

Depuis toute petite, je t’avais vue dans une boule à neige - sans véritable neige - que celle que j’appelais maman avait ramenée d’une de ses escapades. Il y avait un fond de sable, de l’eau bleue et un petit bateau de pêcheur. Je t’imaginais, plus grande, immense, te déployant sur des grèves inconnues.

Sans tempête, une eau apaisante comme un ciel où, à peine le jour endormi, brillaient des myriades d’étoiles. C’était fantastique, je réalisais que je ne pourrais jamais m’élever dans le ciel pour les toucher tout comme toi, mer inaccessible. Une énigme pour moi. 

Il se disait que des gens partaient en vacances au bord de la mer. Chez nous les vacances à St-Porquier, c’était des mots qui n’existaient pas. Dans ma tête à force d’interrogations, j’écumais parfois des images vagues. Pas de mots compliqués. Je ne connaissais pas l’Odyssée d’Homère. Pas de Wikipédia à l’époque. Pas même de dico dans cette maison. La télévision en noir et blanc faisait son apparition dans les foyers, pas chez nous. Alors une idée flotta dans mon cerveau. Et si j’introduisais dans le cou d’une bouteille un message ? Je te demanderais de réaliser mes souhaits. Puis, en cachette de mes parents, je la donnerais au curé après le catéchisme du jeudi. Il allait en cure à Amélie-les Bains à la fin de l’été. Pourquoi avait-il besoin d’aller si loin puisqu’une cure, il en avait déjà une au village ? La voisine, celle qui mettait des fleurs à l’église, y faisait le ménage, même que ça faisait parler, à voix basse, celle que j’appelais encore ma mère et les autres femmes sur le marché du samedi. En tous cas, le curé, il revenait le visage coloré comme la peau des châtaignes du bois de Montech. Pour moi, Amélie-les-Bains c’était flou. Mais si on prenait des bains chez cette Amélie, il était évident que tu y étais, toi, ma mer. Il était gentil, le curé ; parfois, il me donnait des hosties, celles qui n’étaient pas bénies parce qu’aux autres, j’avais pas droit, j’avais pas été baptisée. Alors comme il était gentil, j’étais persuadée qu’il le ferait, qu’il te l’amènerait, ma lettre.

Il me voyait prier fermement, humectant mes yeux et reniflant discrètement. Il ne me posait jamais de questions. Pour me consoler, il me donnait des pièces pour m’acheter des bonbons et des zizigums et surtout il accepta de prendre ma bouteille avec ma lettre enroulée serrée, cette lettre où je te racontais mes secrets et mes doutes. Quelque chose me disait que mes parents ce n’était pas mes vrais parents.

Monsieur le curé m’a promis qu’il avait jeté la bouteille dans tes vagues. Je la voyais voguer au fil de l’eau, lourde de tous mes appels.

Tu dois t’en souvenir, j’avais écrit en lettres bâtons.

Au fil des années, la vision de ce flacon qui prenait le large, aux caprices des vents, s’estompa. Je me disais que, trop fragile, il avait peut-être été avalé par un poisson distrait ou que, comme la maîtresse, ma lettre, tu l’avais jetée au panier tant elle était pleine de fautes d’orthographe et de mots pauvres.

 

Mais un jour, grâce à toi, ma mer, je reçus un courrier.

Sur le haut et à droite de l'enveloppe défraichie, mon attention se fixa sur un timbre en provenance du Maroc. Mon adresse corrigée et recorrigée par différentes postes. Faut dire que j'en avais fait des maisons, des foyers qu'il m'arrivait souvent d'appeler prisons...

Nerveusement je saisis le mot à l’intérieur. Il était écrit :

"Je suis pêcheur à Essaouira et dans mes filets il y avait cette bouteille. D'abord, j'ai cru que c'était un marin qui l'avait jetée par-dessus bord. En son creux, un papier flasque." 

J’ai poursuivi la lecture avec attention, j’étais naufragée dans mon propre espace.

« J’ai cassé la bouteille pour l’extraire sans déchirer le papier et j’ai lu ton message, j’ai lu aussi ton nom. Le même que le mien, le même que celui de mon frère, parti en France. Les bras m’en sont tombés. Je suis donc le frère cadet de ton père. J’ai préparé ta famille pour leur éviter le choc qu’ils auraient en sachant que tu es vivante, surtout ton père.  Ils te pleurent tous les jours et prient Allah. En espérant que cette lettre te parviendra. Voici les coordonnées de ton père et tes proches : Mohamed  Zouane, Port d’Essaouira. Maroc.

PS.  En 1951 ton père a rencontré ta mère. Elle est morte en te mettant au monde. Il a été expulsé de France et il n’a pu t’emmener au Maroc. Il a fondé une famille en ne t’oubliant jamais, Zora. Les moyens lui ont manqué et il avait perdu ta trace. C’est à toi de lui dire la suite… Le village d’Essaouira constitue une cagnotte afin que tu puisses venir le plus vite possible découvrir ton pays et habiter au bord de cette mer tout comme ta mère qui t’a portée dans son ventre. Je te serre dans mes bras en pensée, en attendant que ton père réalise ce vœu inespéré.

Ton oncle Amed.»

Grâce à toi, ma mer, j’ai retrouvé ma famille. Je n’ai pu rester auprès d’elle. Mais nous communiquons par la webcam. Après bien des péripéties, plutôt houleuses que joyeuses, j’ai mouillé au port de Sète.  J’ai travaillé des années à la Criée et à la Marine. J’y ai trouvé une sorte de paix, auprès de toi, ma mer que je chéris jusque dans ma chair puisque tu es aussi ma mère de substitution. Je me désaltère de tous tes bienfaits comme de ces rencontres insoupçonnables et valorisantes qui m’ont orientée depuis des décennies vers un atelier d’écriture… Voilà l’incroyable histoire qui est la mienne.

Maintenant que les mots me viennent plus facilement, je me dois de t’écrire cette nouvelle lettre pour te dire toute ma gratitude. Mais cette fois-ci, je ne vais pas mettre mon message dans une bouteille, non, je vais aller sur la corniche et laisser le vent te l’amener.

 

 

 

 

Encore des pieds palmés de la Fabrikulture qui appartiennent à :

Michèle Dross et Dominique Cabrol,

l'une conteuse, l'autre animatrice d'ateleir d'écriture.

Félicitations !!!!

 

Et voici, leurs textes

 

Déclaration d'amour

 

Moi qui suis tout à fait perdu sans mon ordinateur, j'ai cherché une feuille de papier et un stylo à bille.

Voilà maintenant des heures que je peine, et la corbeille déborde de papiers froissés couverts de gribouillis…après tout ce gâchis, c'est sûr, je ne pourrai plus jamais regarder un arbre dans les yeux .

  • Ecrivez ! a suggéré mon médecin ; écrivez donc votre déclaration d’amour, c’est la meilleure solution…Allons, du courage,  il faut sortir de votre coquille !

J'avoue que parler me terrifie : le téléphone est pour moi un engin de torture, et j’ai peur de bégayer…

  • Composez votre lettre, a poursuivi allègrement mon thérapeute, et écrivez en cursive, c’est si romantique…surtout n'utilisez pas votre ordinateur !… Pourquoi ne pas ajouter un dessin agrémenté d’un phyllactère, vous savez la petite bulle qui fait parler les personnages des bandes dessinées ? Ou bien, plus mystérieusement, un rébus ? Il n’y a pas de honte ! De grands artistes, des poètes s'y sont essayé avant vous !

Hélas, je dessine encore plus mal que je n'écris...

Des souvenirs anciens, bribes de cours de français depuis longtemps abolis, dansent dans ma mémoire :

« Eh bien, écrivons-la cette lettre d’amour

Que j’ai faite en moi-même

Et refaite cent fois...de sorte  qu'elle est prête...

Et que posant mon âme à côté du papier,

Je n’ai tout simplement qu’à la recopier… »

« Et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée...

et mainte feuille blanche entre ses mains froissées

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers… »

Ah...quels mots magnifiques...Mais rien n'est aussi simple, et les vers les plus doux sur mes feuilles froissées ne veulent pas venir...

Allons, soyons efficace… Trouver une nouvelle feuille de papier, puisque j’ai gaspillé un bloc entier, écrire à ma bien aimée quelques phrases sincères, l'adresse sur l’enveloppe, coller le timbre, et hop ! mettre ma lettre à la boite. Demain elle la recevra.

Ce n’était pas si difficile après tout…

Catastrophe ! j’ai oublié de signer ma lettre ! Elle ne saura jamais qui la lui a écrite...

Mais réflexion faite, c’est peut-être mieux, car je crois bien que j’ai utilisé une feuille ornée du logogramme de mon entreprise: un petit cochon sympathique en train de rire dans un coin… Il n' y a vraiment pas de quoi !

Michèle Dross

 

 

Marie-Charlotte

 

Mon avenir ? Tout tracé comme du papier à musique. Fa si la comprendre quand on a des parents musiciens. J’ai su dessiner la clef de sol avant de savoir écrire mon prénom. Je m’appelle Marie-Charlotte. Vous l’avez compris, mon prénom n’a longtemps été qu’un gribouillis informe. En majuscule c’était interminable, en lettres cursives c’était l’enfer. Je rêvais de me faire appeler Eve ou Léa. Puis un jour je me suis hasardée à transformer ces lettres en rébus. Ça a marché un temps. Cela faisait rire mes camarades de classe. Un dessin de mât, de riz, un char, une lotte. Une mare, un I, un gâteau et je m’amusais beaucoup. Cela m’a fait sortir de ma coquille. Mais c’est devenu compliqué lorsqu’il a fallu que je remplisse des imprimés. Car les documents administratifs sont des carcans ! Une lettre par case. Ce formatage n’était pas adapté à mon cas. Prénom : 10 cases. Comptez vous-même, mon prénom compte 14 lettres et 1 tiret, donc 15 caractères. Je ne rentrais pas dans les cases. Mais il fallait bien que je compose avec ces contraintes formelles. C’est ça la vie d’adulte.

J’ai fini par devenir dessinatrice de bandes dessinées. Les phylactères, je préfère les appeler bulles, n’ont pas de secret pour moi.

Mais maintenant vous me demandez d’écrire mon prénom, là devant vous ? C’est une gageure, un logogramme, du chinois quoi ! Je vais vous le dire à la manière du Capitaine Haddock … Anacoluthe ! Euphémisme ! Hyperbole ! Je continue ?

Vous ne voudriez pas que je vous le fasse en langue des signes en plus ? Ah ! Si seulement j’avais encore la souplesse de ma jeunesse, ce serait une arabesque dessinée avec mon corps de danseuse. Catachrèse !

Et qu’est-ce que vous me dites ? Alzheimer ? C’est qui celle-là ? Moi je veux une chambre seule dans votre « Haie-pas-deux ». Madame Alzheimer, je sais déjà que je ne peux pas la voir en peinture ! Acrostiche de mes deux !

 

Dominique CABROL

 

Pour voir les autres réalisations des Fabrikulteurs, cliquez sur l'onglet : e-catalogue

 

Encore et toujours des pieds palmés de la Fabrikulture  qui parfont à  merveille le corps de Sylvie Castellan, notre Médiatrice culturelle favorite !

 

 

La nouvelle édition de la semaine de la francophonie 2018 proposait à chacun de s'interroger sur les multiples usages de la parole : Dis-moi dix mots sur tous les tons.

Bagou, Griot, Jactance, Ohé, Placoter, Susurrer, Truculent, Voix, Volubile étaient les 10 mots proposés par le ministère de la culture.

Comme chaque année, la Fabrikulture a participé à l'évènement avec plusieurs atelliers d'écriture. Une galerie de personnages sont nés à partir de cadavres exquis croqués. Chaque croquis a inspiré un texte croquignole.

 

Voici donc le texte de la lauréate :

 

Migratoncu

 

 

- Aujourd’hui c’est la Saint Félix, la fête de tous les chats ! Susurre Migratoncu à son gros matou d’une voix toute mielleuse. Regarde, j’ai mis des vêtements affriolants ce soir, rien que pour toi !

 

- Arrête ta jactance et vient un peu par ici ! Miaule sauvagement Chaperlipopette.

 

Ces deux-là se sont rencontrés sur le toit du Moulin Rouge. Les humains vont et viennent dans ce cabaret tous les soirs sans se douter que sur le toit, entre les ailes du moulin illuminé, se rassemblent tous les chats du quartier. Chats errants ou de maisons bourgeoises, la fête bat son plein, sur les tuiles, qu’il vente ou qu’il pleuve. Et la bienséance n’est plus une affaire.

 

Tous volubiles, les chats et chattes s’en donnent à « griffe-joie ».

 

Migratoncu se fait particulièrement remarquer ce soir de la Saint Félix : elle a serré si fort son corset de satin rouge, que ses tétines débordent et lui font un décolleté à chatouiller les moustaches des mâles. Sa jupe de plumes roses laisse entrevoir son nombril et sa chatte noire. Mais ce qui plaît à Chaperlipopette, ce sont ses bottines de cuir noir.

 

Sûr que cela va placoter parmi les abyssins, les siamois, Maine coon et autres races félines très snobs. Mais Migratoncu s’en fiche. Elle sort son porte-cigarette en ivoire, y glisse une cigarette et s’avance vers son mâle. Celui-ci dégaine son… briquet. La fumée grise fait des volutes indécentes. Les deux chats se collent l’un à l’autre, leurs poils se hérissent, leurs babines se touchent doucement, ils se lèchent et ils partent dans une danse langoureuse. Ignorant les autres chats.

 

Ce soir, sur le toit du Moulin Rouge, la lune rousse ne s’est levée que pour ces deux-là. 

 

 

Les autres croquis et textes sont sur le blog de la Fabrikulture...

Jocelyne Fonlupt présente son dernier livre :

Montpellier d'hier et d'aujourd'hui

Françoise couverte de cadeaux.

 

e   P  i  e  D  s    P  a  L  m  é  S   

 

 

 

 

A la Fabrikulture, on est joueurs. Et que je te fabrike par ci et que je te fabrike par là. On s'étonne. On étonne. On pousse des Ah ! On pousse des Oh ! On finit par se dire : Pourquoi pas ? Et un jour on passe le pas.

 

On participe à des concours d'écriture, ce n'est pas ce qui manque sur la toile, devant sa porte, un peu plus loin. On ne gagne pas à tous les coups, mais c'est pas grave. On a été motivés différemment, on a travaillé sur une proposition qui nous change de l'ordinaire.

 

Mais parfois on gagne. On gagne l'estime des autres (mais n'est-ce pas l'essentiel ?), on gagne des livres (on adore), des oeuvres d'art (si, si demandez à Françoise), on gagne à être publiés dans un recueil... Ce n'est pas encore le Goncourt ni le Nobel mais on gagne !

 

Donc les heureux fabrikulteurs gagnants sont (roulement de tambours ...) : ...

Bon tout bien réfléchi, au lieu de faire juste une liste, on vous propose les textes primés.

 

 

Les automnales 2016

Le deuxième prix a été remporté par...

(ReRoulement de tambours rararararararaara)

 

Jocelyne Fonlupt

 

 

Madrid 1938

 

« Pardaillan est un compagnon de voyage pour le jeune lecteur esseulé. C’est comme un chapeau magique qui peut transformer l’enfant désemparé, perdu dans un monde plein de dangers, de menaces et de punitions, en héros surpuissant. »

Ahmet Altan

 

C’était un de ces après-midi de douceur comme octobre en produit à Madrid. La Latina commençait à s’animer. Un vent léger agitait la banderole qui barrait le haut de la rue Toledo, les pavés luisaient sous le soleil d’automne. Le garçon courait. Dans une ruelle proche, à l’extérieur de la devanture d’un coiffeur-barbier trônait en hauteur un fauteuil trapu au dossier et à l’assise de bois canné, les accoudoirs en cuivre réfléchissaient la lumière à en blesser les yeux. Quand il était petit, le garçon s’arrêtait toujours devant. Il se promettait de grimper un jour sur cette énormité juste pour voir l’effet que ça faisait. Il pourrait s’y installer aujourd’hui, personne ne s’en apercevrait. Mais rien n’arrêtait sa course, même pas le fauteuil du barbier, il slalomait entre des passants indifférents. En poussant la porte de la librairie d’occasion coincée entre deux bars, il fit tinter la clochette.

- Bonjour fiston, comment vas-tu ?

- Bien Pepe, et vous ?

- Un petit café au lait ?

- Non merci Pepe. Je viens pour lire la fin…

- Elle t’attend, petit.

Le garçon se dirigea vers l’arrière de la boutique, grimpa l’escalier en bois et s’installa, presque avalé par le fauteuil. Il ouvrit La Fin de Fausta là où il l’avait laissée, c’était le dernier tome de la longue épopée des chevaliers de Pardaillan.

« Ça fait des mois qu’il vient deux fois par semaine à la boutique, avait confié Pepe à Maria sa femme. Il ne m’a pas donné son nom et je n’ai rien demandé. La première fois, il m’a juste dit : “Je voudrais finir de lire les Pardaillan, mais je n’ai pas d’argent.” Ça m’a fait sourire et son culot m’a plu. Il m’inspirait confiance. Je lui ai proposé de s’installer en haut pour lire tranquillement sur place. Je lui ai apporté les dix tomes, il a écarté les deux premiers en me disant : “Ceux-là, je les ai déjà lus, merci, je vais continuer par La Fausta.” »

Au fil des visites, la pile des ouvrages achevés, à droite du fauteuil, grandissait, celle des volumes restants, à gauche, diminuait. Régulièrement, Pepe lui proposait une boisson, un goûter parfois. Régulièrement, le garçon remerciait poliment, mais refusait.

« Ce n’est pas nécessaire », disait-il.

Dehors, les enfants jouaient à la guerre.  Dehors, les cigales ne chantaient plus dans les arbres. On entendait parfois quelqu’un entonner Hijos del pueblo. Un peu plus tard, un groupe de jeunes gens, filles et garçons mêlés, répondrait comme en écho par ¡A las barricadas!

Chaque midi ou presque, les avions fondaient sur la capitale. On descendait alors dans le métro, ou dans les caves des maisons. Calmement pour ceux qui avaient anticipé la situation, plus rapidement pour les retardataires. Après, quand tout était terminé, quand les avions étaient repartis quelque part vers le nord, on s’attelait à l’urgence : déblayer les immeubles effondrés, soigner les blessés, sortir les morts, récupérer du bois pour se chauffer. Sans cesse reconstruire. L’utopie libertaire avait du plomb dans l’aile, mais les camions arboraient encore fièrement à l’arrière les panonceaux CNT-FAI.

Ce jour-là, le bombardement quotidien eut lieu en toute fin d’après-midi. Rome ou Berlin, les deux peut-être, en avaient décidé ainsi. Teresa venait d’entrer dans la boutique.

Teresa était une figure dans le quartier, respectée ou haïe selon qu’on était rouge ou blanc. Enfant, elle avait eu la chance d’être éduquée dans une des écoles modernes inspirées par Francisco Ferrer ; la première, celle de Barcelone, avait été fermée sur ordre du clergé et du gouvernement. Mais bien d’autres avaient fleuri dans toute l’Espagne. Devenue institutrice, Teresa avait eu à cœur de partager à son tour cette découverte qu’avait été pour elle la co-éducation et les principes qui l’accompagnaient : égalité sociale, enseignement rationnel, autonomie et entraide. Elle atteignait à peine la quarantaine en pleine guerre civile, toujours célibataire, toujours fière, toujours droite. Les écoles fonctionnaient tant bien que mal dans Madrid qui n’était pas tombée aux mains des nationalistes malgré leurs raids répétés. Teresa fréquentait avec régularité la boutique de Pepe. Pour les livres bien sûr, mais aussi pour échanger avec quelqu’un qui partageait comme elle l’idéal libertaire.

Ce fut d’abord le bruit sourd des moteurs dans le ciel, tel un essaim de mort semblant naviguer à vue. Il serait suivi du sifflement des bombes lâchées. Pepe appela l’enfant :

- Descend petit on va à la cave.

Pas de réponse. Pepe escalada quatre à quatre les marches. Le garçon n’était pas là.

- Fiston, il faut venir, les Allemands bombardent.

Toujours le silence comme réponse. La Fin de Fausta était soigneusement posée sur la pile de droite. Il avait donc fini ! Pepe redescendit aussi vite qu’il était monté. Il rejoignit Teresa et Maria à la cave. Les deux femmes épluchaient les quelques pommes de terre qui serviraient au repas du soir.

- Mais qui est-ce exactement ce garçon ? questionna Teresa.

Pepe raconta à Teresa ce qu’il avait déjà dit à Maria sur les visites de l’enfant. Puis il reprit :

- Il a dû partir sans que je le voie. Et toi Maria, tu ne l’as pas croisé ?

- Non. Et puis tu sais bien que je ne l’ai même jamais rencontré, on dirait qu’il vient seulement quand je ne suis pas là. Enfin, espérons qu’il aura pu se mettre à l’abri.

L’impact assourdissant des bombes éclatant au sol, les nuages de fumée, de poussière et de gravats, qui obscurcissaient le ciel, l’odeur âcre de brûlé, tout ce quotidien de fracas finit par s’interrompre. Teresa, Maria et Pepe remontèrent constater les dégâts dans le quartier. Les fascistes et les nazis avaient encore une fois raté leur but. Quelques bâtiments avaient souffert, mais bien peu compte tenu de la violence orchestrée. Sans doute, déplorerait-on des morts et des blessés, mais les Madrilènes avaient eu tendance, depuis le début, à se serrer les coudes devant ces attaques. Et après chaque bombardement, les Républicains comptaient quelques partisans supplémentaires dans leurs rangs, qu’ils soient anarchistes, communistes ou socialistes.

 

De retour dans la boutique, Teresa et Maria fredonnèrent A las mujeres et la voix grave de Pepe les rejoignit au refrain.

-Je me demande quand même où il est passé ce gosse, marmonna-t-il un peu plus tard. Tu ne pourrais pas m’aider Teresa ?

- Si tu me le décris, peut-être.

-Je dirais douze ou treize ans, fin, plutôt grand. Correctement habillé, élégamment même, comme s’il allait à une cérémonie. D’ailleurs, je ne l’ai jamais vu que vêtu de la même façon. Un drôle de regard, comme s’il lisait en vous. Brun, non châtain. Le teint très pâle. Ah oui, il a une cicatrice sous l’œil droit…

- En forme d’étoile ? coupa Teresa.

- Oui, en forme d’étoile.

- Et tu dis qu’il t’a demandé la suite des Pardaillan parce qu’il avait déjà lu les deux premiers tomes ?

- C’est ça. La première fois qu’il est venu, confirma Pepe. C’était il y a six mois environ. En avril ou mai, je crois. Tu sais qui c’est ?

 

Il y eut un silence. Teresa donna l’impression de revenir d’un passé lointain.

- Je l’ai eu comme élève. En 1934. C’est moi qui lui avais offert les deux premiers tomes des Pardaillan. C’était un enfant doué. Il disait que les livres le faisaient voyager. Qu’ainsi, il pourrait visiter malgré tout la France, un peu l’Italie aussi et bien sûr l’Espagne de Philippe II.

- Tu n’as quand même pas fait lire ces livres à un gamin de sept ou huit ans. C’est bien l’âge qu’il avait en 1934 ? s’exclama Pepe.

- Non Pepe, jamais je n’aurais donné un tel ouvrage à un enfant de cet âge. Mais Juan – Juan López de Ayala – avait treize ans. Un jour, il m’avait avoué en riant son rêve d’enfant : s’asseoir sur le fauteuil du barbier. Il aurait tant voulu terminer la lecture des Pardaillan... La leucémie ne l’a pas permis. Il est mort il y a quatre ans, le 13 avril 1934 exactement.

 

 

Concours de nouvelles à Martigues

L'encrier indiscipliné

Un thème : l'absence

 

C'est Dominique qui a obtenu le 2ème prix, cette année.

 

LE HALO DE LA LUNE

 

Depuis plusieurs jours l’inquiétude me gagne. Vous savez, le nœud dans la gorge qui provoque des toussotements, la respiration saccadée, l’appétit qui diminue. Même la saveur des asperges dégustées ce midi, tièdes avec une vinaigrette d’huile d’olive parfumée avec de l’ail et du persil frais, n’a pas provoqué la salivation intense habituelle qui est le signe du printemps. La peur m’a envahie.

 

Hier, j’ai fait une séance de sophrologie pour domestiquer les sensations désagréables qui ne me quittent plus. Accepter, apprivoiser, capter tout ce qui apaise, je n’ai plus qu’un jour devant moi et je vais essayer de faire tomber la pression qui s’est accumulée dans la marmite qui me sert de tête. C’est bien là le siège des pensées ? Je ne sais plus vraiment. La nuit je fais des rêves étranges où la mer emprunte des siphons, où je me hisse sur des falaises léchées par des vagues dont la densité résiste à la pression de mes mains. Impossible de nager.

- Essaye de te relaxer m’a conseillé Christian il y a quelques jours.

- Je voudrais déjà que ce soit terminé ai-je répondu à mon mari.

- N’anticipe pas. Profite de ces quelques jours pour te faire du bien, ajoute-t-il. On pourrait partir quelque part ensemble et penser à nous.

J’ai décliné la proposition de Christian. Plus le temps de réserver un séjour. Je ne peux plus reculer.

 

Je m’installe sur la promenade du littoral. Le banc en bois est chaud. Je sens l’air chargé d’embruns effleurer mon visage. Je porte mon chapeau de paille et j’ai mes lunettes noires. Je vais mettre à profit ce moment de solitude pour rechercher, sinon l’apaisement total, du moins le calme d’un moment propice à la réflexion.

Au moins évacuer la colère. Celle qui s’est fixée à moi depuis des années, comme un parasite.

- Je te déteste, lui dis-je en silence.

Je crache ensuite ma phrase à l’espace ouvert devant moi. Je veux que l’émotion rejoigne les ombres qui apportent la fraîcheur. La faire partir, oui, dans ces espaces inconnus et mystérieux. La diluer avec les larmes, la sueur, les vagues que j’entends se disloquer au pied de la corniche  juchée au bord du vide. Je répète,

- Je te déteste, je veux t’étrangler, je te chasse de mon univers.

Je ne sais si c’est la haine ou la panique qui a ce goût amer sur mes lèvres. Il faut pourtant que je fasse la part des choses. Ne pas tout mélanger. Résoudre les problèmes les uns après les autres.

Respirer. Je compte les inspirations. Je sens l’air frais se frayer une trajectoire dans les poumons, jusque dans mes viscères. Même le flux aérien atteint mes pensées un instant. Il me semble que mes muscles se détendent.

- Alors, qu’est ce que tu en dis, Colère ? dis-je ironiquement.

Cette méchante hargne, je l’imagine avec un air renfrogné, la tête dans les épaules, mais toujours prête à sauter sur la moindre de mes faiblesses.

- Cette fois tu n’auras pas le dessus ! déclare ma voix à peine assurée.

 

Je ne peux en définir la cause sinon par des termes vagues et abstraits, le destin, la malchance, l’accident, la poisse. Jamais je n’ai pu lui donner un regard injecté de sang ou un sourire édenté. Parfois je l’ai incarnée dans une haleine pestilentielle. J’ai pensé à la matérialiser dans une œuvre artistique, une sculpture modelée avec mes mains. Mes essais ont été peu concluants.

J’étreignais la matière souple, je la tordais, la frappais de toute la force de mes poings. Je la faisais ensuite sortir du néant, lui donnant des formes grotesques, la fractionnant encore entre mes phalanges douloureuses à force de pétrir la matière. Et puis, à bout de force, j’abandonnais la lutte avec la terre. Je reformais une boule informe et y laissais mes émotions intactes, enfouies dans la motte devenue à nouveau disponible pour d’autres mains. Le professeur d’art plastique me disait,

- Continue, je sens ton énergie. Ne la laisse pas te dominer.

Il m’était impossible de dire que cette énergie était celle du désespoir. Je cachais mon désarroi dans mon silence. Il me manquait quelque chose.

C’est pourquoi ce matin je crie à la face du monde vide que tout cela est injuste, que j’ai bien le droit d’être terrorisée. Ma crise passée je me sens presque allégée de sentiments agressifs qui me rongent depuis longtemps.

 

J’ai encore en mémoire la première visite à l’hôpital. J’étais si jeune pourtant. Je me souviens des yeux du médecin, plus que de ses paroles. Maman avait pleuré. Je vois encore ses larmes silencieuses sur son visage. Ma maladie, c’était des regards, ces pleurs, la voix de mon père qui avait dit que ce n’était pas possible. La révolte avait suivi le diagnostic. La leur, que j’avais faite mienne. Je la porte encore aujourd’hui.

 

Reste à domestiquer mon effroi. Je récapitule les évènements au cours desquels j’y ai été confrontée. Ma première rentrée scolaire peut être ? Mon premier voyage seule ?  L’opération de l’appendicite à dix ans ? Je me remémore le sommeil dans lequel j’avais été plongée, le brouillard au sortir de l’anesthésie, les échos incertains qui me parvenaient. Comme ceux que je perçois maintenant, venant des vrombissements des chalutiers qui rentrent au port, trainant au-dessus d’eux le vacarme des oiseaux marins crieurs ou rieurs. Quelque chose de flou, de lointain, de vibrant, de cotonneux. L’angoisse s’était évanouie sous le voile de sommeil qui avait fait de moi une princesse endormie. Un baiser m’avait éveillée, celui de ma mère.

Je me demandais si cette sensation reviendrait un jour. Une terreur métamorphosée en parfum maternel couvrant l’odeur de produits désinfectants. Je pense que la peur ne peut durer alors que la colère peut rester tapie en permanence dans un recoin d’obscurité.

Si quelqu’un vous dit que du jour au lendemain votre vie va changer, n’aurez-vous pas le même recul ?

Pour l’instant, j’ai envie de me distraire et je lis. Mes doigts restent au contact des pages pour éviter que le vent tourne les feuillets et que je perde le fil de l’histoire. J’ai toujours aimé lire. Dès que j’ai pu déchiffrer les pages j’ai constaté que la lecture pouvait me faire voir des continents mystérieux, des personnages dont les contours sortent de la fange dans laquelle ils ont longtemps végété, des formes paradoxales, des volumes pleins ou creux, des mouvements dans l’espace, des scintillements. La lecture est comme un sixième sens, un sens qui fusionne tous les autres. N’avez-vous jamais respiré un parfum ou entendu un moustique voler simplement en lisant ?  N’avez-vous pas entendu le battement d’ailes d’un oiseau immense avec un enfant sur son dos ? Ce matin encore, avant de sortir, un haïku m’a chaviré le cœur. Le halo de la lune / n’est ce pas le parfum des fleurs de prunier / monté là-haut ? Le haijin Buson peut-il savoir que cette seule lecture peut me griser ?

Je referme mon livre en gardant un doigt entre les pages. Je sens la douceur du papier, sa texture veloutée légèrement gaufrée. Je sais que je peux laisser là ma lecture et la reprendre quand je voudrai. Je remercie tous ceux qui m’ont appris à lire. Je me souviens des moments de doute qui me bouleversaient. Je ne me sentais pas capable de surmonter les embûches de l’apprentissage difficile. N’avez-vous pas ressenti cela vous-même ? J’imagine aussi les efforts que doivent fournir les malentendants pour acquérir la fluidité de la langue des signes. Apprendre à communiquer avec les autres humains est héroïque.

Tous mes apprentissages m’ont permis de devenir autonome et d’acquérir un métier. Je suis standardiste à la caserne des Sapeurs Pompiers. Je m’y sens bien comme courroie de transmission des alertes. Ecouter, comprendre, deviner l’angoisse qui suinte dans un appel. Rassurer, reformuler, aiguiller sur un médecin ou immédiatement imprimer un ordre de départ à l’équipage d’un véhicule de secours. C’est à la caserne que j’ai rencontré Christian mon mari. Lui aussi est fait pour des exploits quotidiens.

Demain il faudra que je me sente avec le même état d’esprit, celui de l’exploit. Ne pas trembler. Laisser l’exaspération tapie dans le noir.

Et si finalement l’opération ne réussissait pas ? Comment arriverai-je à surmonter la frustration après un immense espoir ?

Me suis-je bien préparée à ce bouleversement si l’opération est un succès ? Un nouveau monde s’ouvrira à moi. Aurai-je assez de force pour affronter cette nouvelle réalité, ce monde décuplé ? Toutes ces questions se télescopent et me laissent dans l’incertitude.

Je suis une des premières personnes à faire l’objet de cette intervention délicate. Il s’agit de placer des capteurs électroniques dans ma rétine. Le chirurgien me dit que je vais retrouver la vue perdue il y a très longtemps.

Verrai-je le halo de la lune ? Demain soir, j’espère le voir, enfin !

Je repose mon livre aux pages sculptées de Braille sur le banc. Un vent léger en soulève les feuilles.

 

 

 

Dis-moi dix mots 2016

 

Les dix mots retenus cette année étaient les suivants :  chafouin, champagné, dépanneur, dracher, fada, lumerotte, poudrerie, ristrette, tap-tap et vigousse. 

De quoi jouer avec des mots aux goûts typiquement belges, canadiens, congolais, français et suisses.

 

Le concours organisé par la Société Laïque de Lecture, emmenée de main de maîtresse par Line Cros, a remporté tous les records de participation (voir sur le site de la SLL) !

37 textes adultes, 2 "vainqueuses", toutes deux membres de la Fabrikulture :

 

Violaine de Nuchèze pour son texte La mal mariée et Monique Nicque pour En sept lettres Maurice.

 

 

La mal-mariée

 

J’ai un mari du genre chafoin, mâtiné chagrin. Quand je vois son nez s’allonger, ses yeux se plisser, ses commissures dégringoler jusqu’aux plis de son vieux cou de poulet déplumé, je sais que l’heure des lamentations a sonné. Ce sera peut-être son champagné de patron qui aura réussi à placer son demeuré de fils au service de la photocopie tout l’été ; ou le dépanneur – juste un peu trop bronzé à son goût – qui lui aura refilé un article périmé. Mais c’est LUI qui est périmé ! Il refuse par exemple de s’habiller en fonction du temps, au motif que l’élégance n’est pas soluble dans la fonctionnalité… Quand il drache, n’importe quelle andouille sort son imperméable et prend son parapluie ; mais non ! Pas lui ! Il  n’est pas n’importe quelle andouille… Il est fada oui ! Et il le revendique bien haut : « Quand on est du midi on connaît pas la pluie ». Vous me direz : « Du midi ? Élégant ? J’ai dû manquer un épisode de l’évolution… Il lui est arrivé en effet de se ruiner, un jour de grand vent, pour une paire un peu soldée de Clarks cousues main qu’il ne porterait pas mais revendrait avec profit sur le Bon Coin quelques semaines plus tard : il a l’élégance mesquine, c’est son côté radin. Vous le trouverez tous les jours penché sur son établi à s’en rompre les cervicales, avec juste une lumerotte façon quart-monde au-dessus de la tête. Et ça aussi il le revendique : « J’ai une bonne vue moi, madame » ! Je ris doucement en mon for intérieur parce qu’au cœur d’un hiver d’exception, un matin qu’une poudrerie vacharde filait derrière les fenêtres, il m’a signalé, avec un brin de condescendance, que mon linge s’envolait de l’étendage. Un œil de lynx oui… Moi, quand il a le foie dévarié, je ne bronche pas, je lui prépare un ristretto : ça m’intéresse qu’il bricole et répare tout ce qui est réparable dans la maison. Pendant ce temps, je me poudre le museau et je file en tap-tap au centre-ville retrouver mon Pierrot : il est joyeux, tout simple, et vigousse je vous dis pas comment !

 

En sept lettres : MAURICE 

 

Pour un petit Suisse, il était plutôt vigousse, le Maurice. Mais Mireille aimait à répéter que le cachet bleu que son vieux mari suçait tous les soirs avant d’aller au lit n’y était pas étranger. Il l’appelait le dépanneur. Elle l’appelait la béquille. La pauvre Mireille, elle en pouvait plus. Surtout à son âge !

Ce qu’elle aimait, par-dessus tout, elle, c’était se caler sur son gros oreiller, à plat dos, avec une bonne grille 20x20 de Michel Laclos.

Elle avait jamais fait d’études, la Mireille, mais à force de feuilleter les pages des dicos, elle en connaissait un rayon : des mots qui venaient de tous les pays, des mots de la francophonie, comme ils disent. Mais l’autre fada, à part forniquer en 6 lettres commençant par B, plus rien ne l’intéressait, pas même la chasse et la pêche.

Il supportait pas la lumière de sa table de nuit à elle, et lui imposait une lumerotte en forme de phallus qui clignotait toute la nuit. Alors, allez faire des mots croisés dans ces conditions ! Et encore elle ne parlait pas du tap-tap  qu’il lui assénait jusqu’à ce qu’il s’endorme… C’est ainsi qu’elle désignait l’acte sexuel. Evidemment, elle savait – merci Michel ! – qu’un  tap tap c’était une camionnette haïtienne servant au transport en commun. Mais elle aimait bien donner un peu de poésie au quotidien en détournant les mots. Maurice, c’était pas un poète pour sûr ! Il utilisait toujours ce gros mot en 8 lettres commençant par E qui désigne aussi une belotte de comptoir, avant de la prendre de force.

Plus que ses manière frustres, ce qu’elle lui reprochait par-dessus tout c’était son langage ordurier. Elle aurait aimé épouser un prince charmant délicat et même un tantinet efféminé, un maître Capello avec sa tête de hibou, virtuose des lettres et des mots, ou encore un linguiste comme Alain Rey, même s’il est pas beau, le crâne à moitié déplumé et ses lunettes qu’on dirait toujours qu’il les a mises à l’envers – Mireille le voit parfois, invité du Petit Journal de Canal +…

Un soir, alors que Maurice la bousculait, l’empêchant d’écrire l’ultime mot de sa grille, Mireille oublia ses rhumatismes et se retourna vivement. Sans même réfléchir, elle lui planta dans l’œil gauche son crayon HB, fraichement appointé.

Une hémorragie s’ensuivit. Puis la mort.

On présuma un malencontreux accident…

Le lendemain, Maurice fut conduit à la morgue et Mireille se rendit à la Fnac s’acheter, dans l’édition Zulma, les 10 volumes bleus de son cruciverbiste préféré. Avec le montant de l’assurance vie, ils lui seraient largement remboursés !

 

 

 

 

 

Revue Souffle

 

 

La revue Souffle Les  Ecrivains Méditerranéens, créée en 1942 est l'une des plus anciennes revues françaises de poésie et la plus ancienne du Languedoc fondée par le poète Robert Marty et le poète et peintre Paul Bouges.

Régulièrment la revue lance un appel à textes. Lo-gorrhée de Violaine de Nuchèze et Celui qui écrit dans son bain de Monique Nicque ont  été publiés dans Ô fil de l'eau (mars 2016)

 

Lo-gorrhée

 

Violaine de Nuchèze

 

 

Quand ils jacassent aux terrasses l'été les glaçons tintant sur leurs mots

Quand ils font le beau le verbe haut noyant les filles sous un déluge de phéromones

Quand ils s'esclaffent ou s'égosillent entre jazz et champagne

Quand ils pérorent au parterre des femmes énamourées

Quand ils s'enflamment lors d'un débat qui accouche d'une souris

Quand ils décollent dans l'envolée de leurs propres manches

Quand ils dégorgent des galéjades à la tablée des femelles conquises

Quand ils sussurent des heures durant leur libido aventurière

 

Il voudrait pulvériser cette logorrhée salissante, torcher leur langue, arracher leurs cordes vocales, piller leurs bouquets de mots les perles fines de leurs réparties, lobotomiser leurs cerveaux incontinents, injecter dans ses propres veines suintements sédiments scories écoulements fuites et menstrues de ces langages déferlants, il voudrait devenir un être de parole.

 

Parce que les mots jettent des ponts entre les rives des uns et des autres et parfois les rives s'effondrent sous des torrents de boue et les arches s'écroulent dans des rivières de haine et les gravats s'enkystent dans les abysses mais l'eau continue son chemin comme le quotidien poursuit son cours obstiné entre souvenirs ébréchés vie fendues regrets putrides corps perclus et l'homme sans parole devient un arbre mort malmené par les flots.

 

 

Celui qui écrit dans son bain

Monique Nicque

 

Il pleut. Une pluie drue, serrée, battante. L’essuie-glace de la deuch monte au créneau avec réticences. Inefficace. Va falloir qu’il se mette sur le bas côté. Un camion les double, lui et la deuch. Un tsunami. Un faux mouvement. La voiture quitte la chaussée. Stoppée net par un platane. Des douleurs dans les jambes. La ceinture. Le visage s’est arrêté à 5 cm du pare brise explosé. Un porc épic se frotte sur son visage. La tête repart en arrière juste au moment où l’ordinateur portable a la mauvaise idée de finir sa course depuis la plage arrière sur le crâne de Rémi.

 

Noir.

 

Des mois d’opérations et de rééducation. Les jambes remarchent. Sans béquilles, sans cannes, sans claudication. Comme neuves. D’ailleurs Rémi a repris le rugby. Pas de problème, a dit le médecin du sport, elles sont plus solides qu’avant avec toute la ferraille qu’on t’a vissée ! Par contre pour les adversaires ça peut représenter un danger si tu y vas à coup de tibia ! Rémi ne rit pas, il a plus le cœur à ça.

C’est la tête qui va plus. Le coup du lapin lui a semé la zizanie dans la caboche. On dirait que des pièces se sont mélangées !

Si les guiboles lui obéissent comme avant, le cerveau se montre moins docile. Rémi n’est plus capable d’écrire. Un angle de l’ordi  a cogné une toute petite zone du cortex frontal supérieur, celle-là même qui est impliquée dans la dernière étape de l’info linguistique. Les spécialistes sont catégoriques. Rémi ne peut plus décoder de façon concrète ce qu’il veut exprimer. Les gestes précis que l’on effectue avec la main ou l’ordinateur pour écrire, caput. Encore heureux qu’il ne soit pas un pianiste virtuose, il devrait changer de métier !  Rémi doit accepter le verdict : il ne pourra plus écrire.  La machine est cassée. Irrémédiablement foutue.

 

Cœur sec. Il broie du noir.  Diminué, ainsi, à 21 ans, insupportable ! Surtout au quotidien. Dès qu’il a un papier à remplir, c’est le bordel ! Faut qu’il demande de l’aide. Il a pas quitté ses parents y a trois ans pour aller frapper à leur porte tous les quatre matins ! Il a repris ses cours à la fac. Avec les polycops, les bouquins c’est fastoche. Il a obtenu une dérogation pour les partiels, il les passe tous à l’oral.

- Te fais pas de mouron, quand tu dragues, t’es pas obligé de le dire et en discothèque ça saute pas aux yeux !,  qu’ils lui disent les copains.

 

Marie, c’est justement en discothèque qu’il l’a découverte. Le coup de foudre, deux ans après le coup du lapin. Il n’y croyait plus au bonheur. Et aujourd’hui, la vie à deux.

Il a quitté la cité U. Ils habitent l’appart de Marie, un F2 qu’elle loue depuis qu’elle a décroché son job de vendeuse chez Etam.

Elle a accepté son infirmité. Elle dit c’est pas grave, je serai toujours là, suis plus jeune que toi et ce sont toujours les femmes qui sont veuves. Ils rient.

Ces deux-là, ils s’aiment pour de bon. On dirait que le cœur de Rémi s’est réhydraté.

 

Ce soir, Rémi s’est fait couler un bon bain d’hiver. Après l’entrainement, il a pris la douche mais ça n’a pas suffit pour le réchauffer. Il est là, allongé. De l’eau juste ce qu’il faut en température, en volume. Quand il bouge les bras, elle vient clapoter contre ses lèvres comme pour lui donner un baiser. Musique. Marie, est déshabillée, c’est la première chose qu’elle fait en rentrant du boulot. Elle se met à l’aise. Lui, il adore Etam et ses vêtements de nuit. Elle rôde, aguicheuse ; lui, il est consentant. Elle lui raconte sa journée, il lui décrit l’essai qu’il a marqué à la dernière seconde du petit match. Elle se démaquille, jette son coton, rate la poubelle. Woops ! Se baisse pour le ramasser ! Dans l’eau limpide, le désir s’affiche comme le bras de l’arbitre, tout à l’heure. Il s’immerge tout entier, retient son souffle, et crache des bulles. Tout à coup, une envie de l’inviter à partager son eau. Il l’appelle, non… plus près. Il plante son index dans l’eau et le déplace avec une grande amplitude. Marie fixe le doigt : V. I. E. N. S.

Ils rient, ils pleurent. Elle plonge.

 

 

 

Emoi d'un asparagus en garrigou de Violaine de Nuchèze a été retenu pour l'ouvrage Pays Paysage - Trompe l'oeil édité en 2015

 

 

Emoi d'un asparagus en garrigou

 

Derrière mon fortin de chênes kermès

Sous la coupole d'un genévrier

Au pied du buisson cuirassé de la salsepareille

Nichée

Je bois la lumière tamisée

Gracile, solitaire, dressée

Avec vue sur l'étang

Au printemps.

Nul vent glacé ne peut pénétrer mon royaume

Seul le marin transporte dans son souffle

Fragrances dissipées

Arômes entêtants

Un brin d'iode parfois

Les voix, les rires, les cris

Des humains de la ville proche.

Ils mes cherchent

Je les distingue derrière le tissage serré du lentisque

Sur le sentier de pierraille blanche

Jambes blafardes réchappées de l'hiver

Musculeuses et velues

Variqueuses et grenues

Lisses et satinées aux pieds menus

Valse de godillots

Danse des sacs à dos.

Je les entends

Au printemps

S'émerveiller du tapis des iris

De l'éclosion virginale des asphodèles

De l'or des genêts en fleurs

De la douceur des cistes veloutés

Je suis bien cachée.

Je les devine qui s'éloignent vers les capitelles

En contrebas

Disparaître derrière les graminées

D'un entrechat

Je respire

Gracile, solitaire, sauvée.

 

 

 

 

 

Concours : Dis-moi dix mots - 2015

 

 

 

Les dix mots retenus cette année étaient les suivants :  amalgame, bravo, cibler, grigri, inuit, kermesse, kitsch, sérendipité, wiki, zénitude 

 

1er Prix : Elisabeth Bonnet

 

Le rêve de Wiki

 

Wiki jeune fille de dix-sept ans cherchait sa colonne d’air. Elle constata que son squelette manquait d’os. Elle aurait voulu chanter et accueillir les bravos, mais de son corps ne sortait que de la douleur. Des amalgames osseux s’étaient formés la privant de certaines articulations. Elle ne pouvait plus se rendre au lycée.

Sa maladie s’appelle spondylarthrite. Son papa a surnommé sa fille unique mon « grand grigri dégingandé ». Il n’existe aucun remède. La famille Inuit, parents et fille, habite une petite maison au fond d’une impasse ouverte sur une oliveraie. La chambre de Wiki est ciblée pour l’étude et la gymnastique. Wiki a demandé un piano et un professeur de musique. Elle y vit son rêve de chanteuse au milieu des oiseaux et de « pétrolette » l’araignée qui lui tient compagnie au plafond. La mère accueille sur internet les messages de sympathie du monde entier. Très vigilants, les parents sélectionnent les personnes bienveillantes. Car les mots, seulement dix mots peuvent blesser une jeune fille. Wiki a écrit une liste interdite à la maison : « atroce, désastre, horrible, catastrophe, cauchemar, affreux, impossible, désespoir, terrible, difficile ». Wiki déteste les plaintifs elle s’énerve quand elle entend dans l’escalier : « Quel courage vous avez ! » elle crie : « bande d’abrutis ! Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » si fort que ça fait valser Pétrolette.

Ainsi elle a moins de visites. Depuis peu elle demande obligatoirement une friandise sauterelle ou mouche. Elle a découvert que les personnes toxiques détestent les araignées. Ce sont des insectes libres, autonomes et qui savent juste attendre. L’araignée est ravie. Elle se balance et fait sa toilette dans les gouttelettes aspergées pour les orchidées.

 « À quoi rêves-tu Wiki ?  »

« Parfois je voudrais vivre comme toutes les jeunes filles de mon âge»

« Comme c’est comment ? »

« Aller au cinéma avec un copain,  faire les boutiques»

« Pas de souci quand je serai grande, je te prêterai mes pattes »

« Tu es gentille, mais ce ne sera peut-être pas nécessaire »

« Fais comme moi, tisse tes désirs, zénitude dans la toile, langue vers le haut et hop au bon moment, un moustique. Toi tu pourrais écrire une chanson ».

Wiki suivit le conseil de Pétrolette et se mit à composer. Elle apprit toute seule à détendre puis entraîner les muscles non ankylosés sur le souffle. Elle plaça sa jolie voix qu’elle enregistra et elle oublia la désarticulation de ses os.

 

 

Concours organisé par la Société laïque de Lecture - Frontignan

 

 

 

Concours Grand-mère - mars 2015

 

 

1er Prix : Monique Nicque 

 

Ecrivez un texte mettant en scène votre grand-mère

ou une grand-mère imaginée, rêvée, idéale

 

 

Mamie Boule

 

Mamie Boule, c’est la maman de la maman de ma maman. Elle est plutôt grosse avec des jambes très maigres - qu’on se demande comment elle tient, mais elle tient -  et un petit menton tout rond, entouré de deux autres mentons plus petits. Elle a un chignon gris minuscule, parce que mamie Boule elle est presque chauve. Elle vit avec nous depuis que le docteur a dit qu’elle devenait zinzin. C’est ça ou la maison de retraite, qu’elle a dit maman à papa. Et papa il a pas eu le cœur… Alors, il a décoré une chambre dans le garage pour pas que mamie Boule monte les escaliers – s’il savait ! Il a dit, Je le ferais pour ma grand-mère, je peux bien le faire pour la tienne.

Moi, je suis bien content que mamie Boule elle habite avec nous. J’aime bien rester avec elle quand les autres y s’en vont. Elle me prend dans son fauteuil et me lit des histoires. Enfin, ça, c’est ce qu’on raconte aux autres. En fait, on fait pas que raconter des histoires. Avec mamie Boule, on a un secret. Je peux bien vous le dire, à vous qui êtes pas de la famille, si vous promettez de le garder pour vous. Quand tout le monde est parti, mamie Boule me dit, Valentin, va ouvrir la porte.

Notre maison, elle est en tout en haut de la colline. Tout autour, que des champs en pente. Des champs de tournesols, des champs avec de beaux sillons comme des griffes de fourchettes sur la purée de marron, des champs de blés, des champs sans rien mais avec de la neige qu’on dirait du sucre glace sur un gâteau au chocolat. Mais non ! Ces champs, ils sont pas tous en même temps ! Vous réfléchissez pas, ou quoi ? Ça-dé-pend-des-sai-sons ! Donc je fais ce que mamie Boule m’a dit. J’ouvre la porte  et je viens m’asseoir sur ses genoux. Elle m’enveloppe de ses gros bras, de sa grande jupe et de sa cape spéciale, elle se met en boule, ronde comme un ballon de foot. On ne nous voit plus, juste les yeux au milieu des plis du tissu. Et mamie Boule commence à rouler en bas du fauteuil et, dans son élan, franchit la porte et descend la pente du jardin, roule sur le tremplin, et ça, ça fait peur ! Si elle rate son coup, on plonge dans la piscine, mais c’est jamais arrivé, mamie Boule, elle est trop forte ! On saute par-dessus la piscine et le chemin et nous voilà dans le pré de Jordi, on slalome entre les vaches quand le Jordi les a sorties pour manger l’herbe verte… ça c’est rigolo ! Elles s’arrêtent de brouter et nous regardent passer. Ça leur fait une distraction, vu qu’il y a pas de trains là où on habite.

Mamie Boule, elle connait le circuit par cœur et roule d’un champ à l’autre aussi vite que le TGV. Je l’ai déjà pris le TGV pour aller chez mon autre mamie, en vacances et ça c’est vrai, faut me croire !

On va tellement vite dans les descentes qu’on peut même remonter derrière la maison et là faut que Mamie, elle vise bien. Mais elle vise bien… Elle freine juste en haut et s’élance, frôle le trampoline et s’enquille sur la coursive en bois qui fait le tour de la maison. C’est compliqué à expliquer, ce serait mieux si vous voyiez !  La coursive, c’est comme un balcon qui part du jardin, passe devant les portes fenêtres et redescend de l’autre côté et tout ça sans escaliers, bien sûr autrement ça ressemblerait à un tape-cul et, pour une mamie de cet âge, ça serait pas bien !

Quand elle est très en forme, elle nous fait faire plusieurs tours comme au manège mais là, on a pas besoin de donner le ticket au monsieur.

Après on rentre. Mamie Boule se déplie, se redresse, me libère. Tu vas bien, Valentin ? Tu ne t’es pas cogné ? Je me cogne jamais, mamie parfois ; il lui sort un bleu ici et là qu’elle montre à personne. Comme elle montre à personne ses habits sales. Elle les enfile dans la machine et ni vu ni connu.

Quand les parents reviennent, ils nous trouvent, tranquilles, en train de lire ou de dessiner. Mamie Boule, elle dessine pas très très bien mais c’est pas grave tant qu’elle roule !

 

Concours organisé par la scène nationale de Villeneuve -les-Maguelone

 

 

Concours : Je me souviens - janvier 2015

 

Le thème consistait à écrire une dizaine de souvenirs brefs à la manière de G. Perec.

 

 

1er Prix : Violaine de NUCHÈZE (34)

 

 

Je me souviens

 

 

1 - Je me souviens de la 4CV, ses yeux ronds ses moustaches chromées, des paquets d'enfants en uniforme bleu marine qu'elle ingurgitait sans faillir, de son faux air de scarabée des villes sur le macadam des années cinquante.

2 - Je me souviens des vignettes de couleurs qui livraient chaque semaine les aventures de Sylvain et Sylvette, Moustachu, Riton, Zimbo et Zimba, cui-cui et l'éléphant Bouboule, le Capitaine Laboussole, Perlin et Pinpin, ô joie !

3 - Je me souviens des twin-set de pure laine fine tricotés maison dès les premières machines ; ils se portaient sur un chemisier clair et grattaient grattaient grattaient, transformant certains enfants en piles électriques ambulantes.

4 - Je me souviens des raquettes de bois blanc du jokari, de sa balle satanique de caoutchouc tendue au bout d'un élastique relié à une base au sol, et du cri de frustration qui jaillissait quand la balle ne revenait pas vers le joueur, malgré tous les nœuds qu'il y avait semés.

5 - Je me souviens de ce cauchemar des matins d'hiver, la bouteille en verre brun qui n'avait l'air de rien, la cuillère bien remplie qui forçait les dents, le spasme qui se déclenchait, la fuite vers l'école après sa dose de foie de morue.

6 - Je me souviens des tranches blanches à filets dorés à la queue leu leu dans les bibliothèques d'enfants, des titres à vous jeter des heures dans la lecture des contes et légendes de tous les pays, des régions de France ou des mythes grecs.

7 - Je me souviens des grumes odorantes au port de commerce, suspendues au bout du filin des grues, se balançant nonchalamment avant de se coucher, vaincues, sur d'énormes camions où les surveillaient les dockers.

8 - Je me souviens des premiers transistors, petits trapus et colorés, objets sacrés célébrant tous les jours Sylvie Françoise Johnny Cloclo et tous les autres, au son du clairon : yé yé yé Salut les copains. !

9 - Je me souviens de la magie des Dames de France à leur ouverture sous les arcades à La Rochelle, leurs vitrines rutilantes leurs mannequins à la parade et surtout une combinaison orange à la guipure arachnéenne qui chassait d'un grand coup d'aile les dessous couleur chair de nos maisons si raisonnables.

10 - Je me souviens des petits pots de colle blanche bien en vue sur chaque pupitre, du parfum subtil qui s'en échappait quand on utilisait la spatule flexible. Il s'enroulait autour des personnes les plus revêches de la conjugaison, flottait sur les quatre opérations et nous déconcentrait quelques instants.

 

Concours organisé par l'association Récits de vie

 

 

 

 

Concours : Rêve d'Italie

 

Le thème consistait à écrire une dizaine de souvenirs brefs à la manière de G. Perec.

 

 

1er Prix : Françoise Montbarbon

 

 

 

Dix mots à placer dans le texte : baie, marée, banderoles, fumisterie, noir, azimuth, arsenic, être, alliance, bravoure

 

 

Invitation à Venise

 

 

Le charme mystérieux de la cité envoûte le visiteur qui aime à découvrir ses secrets, mais Venise, la sérénissime, mystérieuse et secrète, ne se livre jamais.

La magie du carnaval crée des rencontres fortuites au hasard des rues.

Lors d'une balade entre le pont du Rialto et la place San Marco, je me prends au jeu et me mêle à la foule costumée qui déambule par les rues étroites.

Regards mystérieux derrière ces étranges masques.

Passage inattendu de l'ombre à la lumière, je rêve de me perdre dans ce dédale de rues aux couleurs de sang délavé, ou d'ocre jaune vibrant aux délicates nuances.

Je pars à la découverte de ses trésors cachés au milieu de charmantes places, de ponts et de rues étroites.

Enchevêtrement fou de canaux et de rues qui tournent sur eux-mêmes.

Venise ténébreuse, cité lagunaire, sublime labyrinthe au cœur duquel on aime à s'égarer, brumeuse et froide, à peine endormie, le brouillard sur la lagune t'enveloppe peu à peu.

 

Minuit sonne à la basilique San Marco. Dans la baie de Venise résonne l'ambiance du carnaval.

Parés de leur magnifique costume, les habitants, tels une marée humaine haute en couleur, rient et courent à travers les ruelles. Elles s'emplissent des échos de leur chants, de leurs éclats de rire, s'animent de ces danses qui font scintiller la nuit de mille couleurs.

Pourtant, subtilement mêlée à cette festive assemblée, s'y trouve un étrange personnage, véritable maître de l'illusion, capable de se fondre dans cette foule jusqu'à y disparaître, il se faufile mystérieusement dans la nuit.

 

Liberté et anonymat garantis par le masque, qui permet de voir sans être vu, et facilite les intrigues.

Le défilé des carnavaliers déambule sur la place San Marco, déployant leurs atours tels des banderoles.

Vaste fumisterie esthétisante, tout n'est qu'apparence dans la ville du carnaval.

 

Envahi par la foule des fêtards, le café Florian brille de tous ses fastes. Le mystérieux personnage se glisse furtivement dans la salle orientale, où se sont dispersés les costumés de la bruyante assemblée.

 

Attiré par son étrange allure, je me glisse à mon tour dans cette belle salle, dont les murs célèbres rendent hommage à la femme.

 

Etonnantes silhouettes que celle de ces gens d'une autre époque, bavardant aisément dans leurs riches parures.

 

Je m'éclipse discrètement, et décide de le suivre.

 

Ce singulier personnage costumé en chevalier, tout de noir vêtu, dissimulant une dague en or sous sa cape, portant masque noir sur son visage nous laisserait penser qu'il se sauve à la hâte d'accomplir une mission secrète.

 

Je le suis furtivement, craignant d'être surpris, mais curieux de connaître le dessein de ce mystérieux inconnu.

Il traverse des rues sombres à souhait, des ponts éclairés à la seule lumière de la lune brumeuse.

Venise changeante et mystérieuse, déconcertante, voire oppressante, s'impose à moi, et je ne peux m'y soustraire. Je suis pris dans une sorte de transe, de savoir, de découvrir la quête du chevalier noir, et me lance tous azimuts sur ses talons.

 

Celui-ci se faufile à travers les rues, tel un félin à la recherche de sa proie.

Imagination trop fertile!  Me dis-je, et pourtant, tout à coup, surgit d'on ne sait où, un personnage terrifiant, vêtu d'un long manteau noir, coiffé d'un masque de mort.

 

Je ne peux m'empêcher de pousser un cri de frayeur.

Ils vont me découvrir !

Que nenni !  Aucun des deux ne réagit, me voilà rassuré.

Quand soudain, le masque de mort sort de sous son manteau, un tout petit paquet remuant tel un nouveau-né.

 

Mauvais présage me dis-je, me voilà avec deux malfaisants qui ont certainement ma foi,  très mauvaise intention.

Le chevalier s'empare rapidement de l'enfant présumé, et suivi du masque de mort, se dirige précipitamment, vers une porte cochère au fond d'une rue noire.

Trois coups il va donner, tel un signal d'entrée.

La porte s'ouvre, derrière laquelle se dissimule un personnage encagoulé sous une grande toque noire, surplombant une longue robe sombre.

L'endroit paraît sinistre, suivi du masque de mort, le chevalier s'empresse d'y entrer, et je me surprends à m'y glisser subrepticement avant que l'inquiétant personnage ne referme la porte aussitôt derrière moi.

 

Ils se dirigent vers une grande salle circulaire dans laquelle les attend une bien funeste assemblée.

Ils forment à eux tous une sorte de cercle au milieu duquel se trouve un autel.

Vêtus de noir, ces inquiétants personnages semblent attendre calmement la célébration.

Terrifié, prostré par la peur du drame qui s'annonce, je suis pris de tremblements, envahi de sueurs froides.

Me voilà, tel un animal pris au piège.

Je me trouve faire partie d'une cérémonie, d'un rite religieux impliquant le sacrifice humain.

Au moyen âge, poudres et arsenic de tout genre, tueries barbares tenaient office dans ce type de lieu.

Le sacrifice était un don fait aux dieux ou aux esprits, une offrande, particulièrement, le sacrifice des enfants, êtres innocents par excellence.

L'élu de ce rite, un nouveau-né portant la marque divine, sous forme d'une couleur ou d'un défaut rare et spécifique.

Ce sacrifice était considéré comme un échange, une alliance entre les hommes qui le pratiquaient et les puissances divines qui le recevaient.

C'était un partage, une part était offerte aux dieux puissants, et le reste était partagé entre les officiants.

Pratique sauvage perpétuée par ces hommes d'aujourd'hui, c'est donc le sang de ce nouveau-né qui va être bu par les membres de cette communauté secrète.

 

Le chevalier noir, suivi du masque de mort, découvre l'enfant et le dépose sur l'autel.

Celui-ci, saisi par le froid se met à pleurer.

Aucun signe d'émoi dans l'assemblée.

Le chevalier dégaine sa dague en or, la dirige sur le cou du nouveau-né.

Dans un élan de bravoure insoupçonnée, je me jette sur lui en hurlant "Arrêtez chevalier! Je vous l'interdis!"

Aussitôt, le masque de mort aidé de l'un des officiants m'empoignent fermement, laissant le champ libre au chevalier.

Ce dernier, pressé d'en finir, enfonce brutalement sa dague en or dans la gorge de l'enfant dont le sang jaillissant est précieusement recueilli.

Anéanti je suis, face au terrible crime de ce pauvre enfant, lequel, pour son malheur, se trouvait affublé d'une chevelure rousse.

Douleur poignante devant son petit corps sans vie, gisant dans une mare de sang.

 

Son méfait accompli, le chevalier noir s'avance vers moi, bien décidé à me tuer, témoin gênant de cette sauvage barbarie, ne saurait survivre.

Dans son ultime geste, me retire mon masque, violente panique que celle de mon dernier instant de vie.

Au paroxysme de la terreur, voilà que "Oh! Stupeur", je me réveille et réalise enfin que ce n'était qu'un songe.

Un rêve, par bonheur, seulement un rêve.

 

Concours organisé par Clair de Plume - Vic la Gardiole

Concours Dis-moi dix mots - 2014

 

 

Les dix mots retenus cette année étaient les suivants : ambiancer, à tire-larigot, charivari, faribole, huluberlu, ouf, timbré, tohu-bohu, zigzag, s’enlivrer (« être ivre de lecture », néologisme créé par un élève de CM2).

 

1er Prix : Monique Nicque

La fée hurluberlu

La marraine de Cendrillon n’était pas dans son assiette quand elle procéda à la transformation. En fait, elle sortait d’un symposium fabuleux, organisé par l’état-major des fées, suivi d’un repas gargantuesque.

Trouvères et troubadours étaient chargés d’ambiancer la salle et ils y réussissaient plutôt bien avec force chansons et force gestes.

On leur avait servi, au milieu d’un tohu-bohu général, des mets crus, bouillis, rôtis, grillés et les meilleurs crus de la région. Elles avaient bu à tire-larigot et chacune y allait de fariboles, balivernes, sornettes et autres propos vains… qui faisaient dire à la générale que la prochaine assemblée se ferait au jus de cranberry, un point c’est tout. Quand la voix de Cendrillon résonna à son oreille, la marraine s’excusa et quitta la table, à regrets faut bien l’avouer. Fromages et desserts n’avaient pas encore été présentés aux convives.

Un large couloir menait à la sortie. La fée s’éloigna en zigzag cognant sa silhouette boule de cristal sans jamais pouvoir contrôler sa course.

Heureusement que l’air frais de cette fin d’après-midi lui remit suffisamment les idées en place pour qu’elle réussît sa téléportation.

Elle se trouva donc dans le jardin de Cendrillon et lui demanda d’aller lui quérir citrouille, rat, lézards et souris. Avec précipitation, elle prononça ses formules magiques et, avant d’avoir dit ouf, le carrosse démarrait.

Cendrillon passa alors la tête à la fenêtre et ce qu’elle vit la sidéra : Les gens de livrée étaient sans livrée, à poil le cocher, à poil les laquais !

  • Décidément, se dit Cendrillon, ma marraine est de plus en plus timbrée !

Cet épisode a été censuré à la fois par les frères Grimm et par Charles Perrault mais moi, je vous en garantis la véracité !

 

Concours organisé par la Société laïque de Lecture - Frontignan

 

 

 

 

 

 

Concours Harris Burdick - mars 2014

 

 

Ecrire une nouvelle à partir d'une illustration de hris Van Allsburg en gardant le titre et en incluant la légende de l'image dans le récit.

 

 

1er Prix : Monique Nicque

 

 

 

Un étrange jour de juillet

 

Papa travaille. Il a posé ses congés pour le mois d’août. Un gite à la montagne, à côté de Munster, pour changer d’air. Munster, je savais que c’était un fromage, maman adôrait le munster ! Papa nous a montré la carte et j’ai bien vu que c’est aussi une ville. Bon. On mettra tes 8 bougies sur un fromage, a plaisanté papa.

En attendant on doit passer le mois de juillet à glandouiller. Ça c’est pas un mot de moi, c’est Patrick mon grand frère qui le dit. Je crois même que c’est un gros mot.

Papa a dit, Vous êtes assez grands et raisonnables pour vous garder tout seul. D’habitude, c’est tatie Martine qui nous garde tous les mois de juillet mais là comme elle est venue tant que maman était en soins palliatifs et qu’elle est restée jusqu’à l’enterrement, elle a plus de vacances.

Alors on s’occupe comme on peut. Le matin, on traîne, on regarde des dessins animés, on joue au Monopoly, mais à deux c’est pas marrant, soit tu gagnes soit tu perds, y a pas de suspens et on rigole même pas. Bon d’accord, on a pas encore le cœur à rigoler depuis que maman est partie mais quand même, on aurait des cousins ou des copains avec nous, ça serait pas pareil ! Mais papa il a dit, Je veux personne à la maison et vous ne sortez pas du jardin.

Heureusement qu’au fond du jardin y a la rivière. On y va pour se mouiller les pieds, papa y veut pas qu’on se baigne pour de vrai quand il est pas là. On s’asperge aussi, ça fait du bien il fait tellement chaud ! Patrick, lui, il fait souvent des ricochets, il est trop fort. Papa nous a expliqué à tous les deux, penchez-vous, pliez les genoux, tenez le galet bien à plat, et surtout la pichenette ! Moi j’en ai marre d’essayer, mes cailloux, ils coulent tout de suite ! Alors je lui sers de boniche. Il me dit, Va me chercher des cailloux. Avant je prenais n’importe quoi et il me criait dessus. Mais il m’a bien expliqué, rond, plat, lisse, pas plus grand qu’un rouleau de réglisse. Comme dit… disait maman, J’adôre la réglisse !

Tè ! Vous le voyez Patrick, là, au bord de la rivière ? Je lui ai apporté plein de munitions, au moins douze, je les ai pas comptées mais j’en avais plein mes deux mains.

Il lance le premier caillou et on compte : un, deux, trois, quatre, cinq ricochets ! Moi je note sur mon carnet. Il veut battre son record : 9. Il lance le deuxième : un, deux, trois, quatre, cinq, six ricochets. Je note, j’adôre regarder les bonds qu’ils font, de plus en plus petits.

Il en choisit un autre, un blanc. Il le lance de toutes ses forces, mais le troisième caillou revient en ricochant. On a jamais vu ça, une pierre qui revient ! C’est comme si quelqu’un lui avait jeté un sort ! C’est comme s’il remontait le temps ! Ça fait tout drôle. Patrick, il dit tout bas, Moi aussi, j’aimerais bien remonter le temps. On décide de rentrer.

 

A la maison, tout le monde est là, en habit noir. Ils tiennent tous un kleenex sur le nez. Ils ont tous mis des lunettes de soleil. Nous on est assis sur le canapé avec mamie Irène. Elle nous explique comment ça va se passer. La messe, l’urne et le cimetière. Moi aussi je pleure. Patrick aussi même si c’est un garçon. Papa il va dans la chambre avec quatre hommes qu’on connaît pas. Ils emportent maman.

 

Maman est allongée sur le lit. On la voit pas bien, les stores sont baissés. On lui fait un bisou. Elle sent le médicament. Elle nous dit, on doit se dire adieu, je suis super contente d’avoir eu des enfants comme vous. Il ne faut pas pleurer. C’est la vie, parfois elle est longue, parfois elle est courte. La mienne a été bien remplie, je crois que dans mon cœur il n’y avait plus de place pour le bonheur. Un trop plein. Comme une fin inévitable. Vous, vous avez des cœurs gros comme ça, et elle a fait le geste avec ses mains toute maigres, vous devez me promettre de bien les remplir. Papa vous aidera ça j’en suis sûre. Papa lui a fait un gros câlin et nous a emmenés loin de l’hôpital.

 

Maman vient de rentrer de sa chimio. Elle a une jolie perruque depuis la rentrée des classes. Elle est presque plus belle qu’avant. En fait, elle en a deux, de perruques. Une blonde et une rousse. La rousse, elle a dit, c’est pour rigoler. Et c’est vrai qu’on rigole parce qu’on a pas l’habitude de la voir avec cette tête. Un jour, elle m’a fait un chignon très serré et me l’a mise, la rousse. Patrick a mis la blonde. Papa a pris plein de photos et les a épinglées sur la tête de leur lit.

 

On rentre de l’école. Maman pleure, On a une mauvaise nouvelle à vous annoncer, a dit papa qu’est pas au travail, bizarre. On vient de voir un docteur. Maman a une vilaine maladie qui s’appelle le cancer. Elle va être soignée. Le docteur est optimiste. Vous ne devez pas vous faire de souci, tout ira bien. Maman renifle et nous serre fort.

Comme tous les étés, on passe 15 jours du mois d’août, au bord de l’Atlantique, chez mamie Irène et papy Maurice. C’est le mois de mon anniversaire. J’ai 7 ans. Elle nous fait que des plats qu'on aime, surtout maman. J’adôre le poulet basquaise, qu’elle répète. Alors aujourd’hui, mamie lui a fait du poulet-basquaise avec beaucoup d’oignons et de poivrons. Mais maman, elle fait la comédie. Elle tripote son assiette. J’ai pas faim, qu’elle dit. Mamie la gronde, Faut que tu te forces, c’est ta toux qui te tracasse… Nous on rit, avec Patrick et on récite en vitesse, pour imiter mamie, Ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? Maman mange un peu, comme pour faire plaisir à mamie. A trois heures papa décide, On va à la dune du Pila. Maman a pas trop envie, nous si. On monte dans la voiture en premier, finalement maman vient avec nous et mamie aussi. Papy préfère aller sur la place faire une pétanque. On court pour monter la dune. Maman s’arrête après quelques mètres, elle dit, je suis trop essoufflée.

 

J’ai 6 ans. La serveuse apporte mon gâteau. Un gâteau basque fourré de crème au beurre et de chantilly. On est à Estérençuby. Le soir, Papy Maurice et Mamie Irène dorment chez le curé, y avait plus de chambre à l’hôtel. On fait des jeux à la fin du repas. Papy et mamie font leur tour de magie, Bâton roule, Patrick dit qu’ils connaissent que celui-là. Mamie cache ses yeux avec la serviette de table et papy, avec sa canne montre papa et dit Bâton roule, roule toujours ! Et mamie qui n’y voit rien devine que c’est papa. On applaudit ! Papy refait Bâton roule, roule toujours et mamie ne se trompe pas ! Elle ne se trompe jamais ! Même maman qui est sa fille n’a jamais deviné leur secret. Tout le monde rit dans la salle. La patronne s’approche de notre table pour offrir le digestif aux parents et elle ajoute, Ça fait chaud au cœur de voir une famille si heureuse !

Allez, et si tout recommençait à partir de là ? Et si la maladie passait devant notre porte sans s’y arrêter ? Et si comme le troisième caillou que Patrick a lancé, tout était revenu en arrière ? Et si tout le mauvais s’était effacé ? Et si j’avais pas rêvé ?

J’entends une voiture rouler sur le gravier. Je descends en courant de ma chambre. Patrick a déjà ouvert la porte, le soleil entre comme une vague de lumière. Patrick dit, Camille, c’est maman !

 

Concours organisé par L'Ecole des Loisirs

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