2018 - Atelier animé par Jacques Bonnaffé au Théâtre Molière de Sète
Les textes de l'atelier
Colporteur
- Dis, t’as vu le colporteur, ce matin, gamin ?
- Oui papy, j’ai vu le col du Jérôme, il portait plein de pellicules comme d’habitude.
- Non gamin ! Je ne te parle pas du col porteur de pellicules du Jérôme mais du colporteur !
- Ah Bon ! Tu veux parler du Cole Porter de Mamy ! Mais papy, le Cole Porter de mamy y se voit pas Mamy écoute sans arrêt sa trompette sur le Teppaz.
- Non gamin je veux parler du colporteur, du marchand ambulant, celui qui passe une fois par mois avec son camion pour que Mamy achète de la camelote dont on ne sait plus que faire !
- Ah, c’est ça que t’appelle le colporteur, papy ? Ben oui que je l’ai vu et il est pas venu pour rien ! Mamy lui a acheté du linge des Vosges, des casseroles en fer blanc, des boules de neige, du papier d’Arménie, des bougies d’anniversaire, de la mort-aux-rats, des rouleaux de ficelle, de l’eau de Cologne, des bobines de fil, et de la vaisselle de Limoges… Eh, Papy, pourquoi tu boudes ?
Dans la boite en bois du colporteur j’ai vu…
des préservatifs pour pas faire de bb
des vierges de Lourdes pour invoquer le ciel pour faire de bébés
des dés à coudre pour pas se piquer le doigt
des tests pour diabétiques
des bougies pour quand on a plus d’ampoules
des ampoules électriques pour quand on a plus de bougies
des sparadraps pour quand on a des ampoules
des cartes postales lointaines pour quand on veut faire croire qu’on a voyagé
des casse-tête chinois pour tuer le temps
de la mort-aux-rats pour tuer les rats
ou l’amant de sa femme.
des boules de geisha pour prendre du plaisir
du bromure pour calmer les ardeurs
du fée Braise pour calmer les odeurs
des livres pour inspirer les auteurs
des origamis qui déploient des nénuphars dans l’eau des tasses en porcelaine
et un raton-laveur
Le marchand de bonheur
Sa silhouette pointe le bout de son barda, au bout du chemin sablonneux qui serpente entre les pins saignants.
Thérèse le guette. Elle reconnait aussi sa démarche chaloupée et l’air qu’il sifflote, une chanson de luis Mariano : Le marchand de bonheur. Déjà séduite, elle ôte son tablier, déboutonne d‘un cran son chemisier et recoiffe sa mèche. Elle a attendu ce matin le départ de Marcel pour se maquiller.
Il approche et lui sourit. Elle met tous ses espoirs dans cet inconnu de passage, qui, malgré tout, au fil du temps, a su faire vibrer son cœur.
Il déballe son attirail, Thérèse regarde à peine sa camelote ; en fait elle n’a besoin de rien juste d’un peu de rêve, d’un peu d’amour. Aussi comme à chaque fois, elle se laisse faire, bercée par les boniments, les compliments. Elle fait semblant d’hésiter pour qu’il continue et continue encore pour qu’il reste encore un moment. Et comme à chaque fois, quand elle rabaisse sa jupe, elle achète ce qui, aussitôt, trouvera sa place sous la pente de l’escalier, avec tous les autres objets qui n’ont jamais marché et qui ne marcheront jamais. Mais qu’importe !
Mô
Colporteur de mots
J’ai dans ma boîte sur le dos
des milliers de mots.
N’hésitez pas, approchez,
venez piocher.
Là, mesdames messieurs,
j’ai des verbes
d’action pour les hommes
d’état pour les émotifs
et aussi des auxiliaires
bien pratiques, ils vous faciliteront la vie.
J’ai aussi des noms
propres ou sales au choix,
pas de bousculade
il y en aura pour tout le monde.
Eh petit, pas ce sac non,
ce sont des mots pour tes parents
interdits au moins de 18 ans.
Alors là, messieurs dames,
dans ce sac, j’ai des gros mots.
Si vous pouviez m’en débarrasser,
aujourd’hui, je les brade.
Ils sont trop lourds à porter.
Et toi jeune homme,
j’ai quelque chose pour toi,
des mots d’amour jamais utilisés.
Tu m’en diras des nouvelles
quand tu les auras lancés à ta belle.
J’ai aussi de l’adjectif
pour tout embellir, agrémenter.
Mais ce n’est pas tout
J’ai aussi des histoires
vraies ou fausses au choix.
Des nouvelles
bonnes ou mauvaises.
Demandez, vous serez servis.
Tout ce que je vends n’a pas de prix.
Vous donnez ce que vous voulez
Mais attention aux radins.
Le silence est d’or,
mais la parole est d’argent.
Donc soyez généreux messieurs dames.
Michel Marrinchio
Le colporteur
Avec son manteau trop long, son pantalon élimé et ses souliers épuisés d’avoir tant marché, il faisait pitié. On avait envie de le plaindre. Il commençait à s’installer et surprise !, de cet aspect un peu misérable sortait une voix forte, assuré qui suscitait la curiosité.
On s’approchait et on voyait son visage buriné, un visage qui témoignait d’une vie pleine, agitée, trouble. Il n’était pas vraiment beau mais dégageait un charme dont il était conscient. La forte affluence féminine autour de son étal en était la preuve.
Il commençait à vanter son éponge miracle qui guérissait l’arthrose, supprimait les boutons d’acné, atténuait voire faisait disparaître les bouffées de chaleur de la ménopause. Et tout l’auditoire l’écoutait, tous savaient que ce n’était pas possible, mais avaient envie d’y croire. Ils pensaient à leur rejeton bourré de complexes à cause de ses boutons, à la mère en plein dérèglement hormonal, au papy perclus de douleurs et les résistances commençaient à tomber. D’aucuns pensaient : « Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal, de toute façon on a tout essayé. » Et tous restaient, buvant les paroles du camelot. Il embrayait sur son produit que Jane Fonda utilisait depuis plusieurs années, prenait l’assistance à témoin, « Vous l’avez-vu Jane Fonda, vous savez quel âge elle a ? Plus de 80 ans. » Des visages étonnés surgissaient de l’assistance et il continuait : « Et vous savez, pourquoi personne ne parle de cette éponge… », un silence et, telle une confidence, il lançait : « les labos, cela ferait du tort aux labos, c’est une histoire de gros sous mesdames, messieurs. »
On voyait les badauds dodeliner de la tête en guise d’acquiescement. Les labos, des voleurs, ça ne les étonnait pas. Ils étaient embobinés. Le colporteur avisé sentant l’auditoire conquis, terminait sur : « Vous savez combien ils la vendent, aux États-Unis ,mon éponge ? 300 dollars, oui mesdames messieurs vous avez bien entendu, 300 dollars et bien moi, ici à Sète, je ne la fais pas à 200, 100, même 50 euros mais 20 euros, vous rendez-vous compte. Vous savez je ne gagne presque rien dessus mais je suis heureux si je vois des clients retrouver le sourire, votre sourire c’est mon salaire mesdames, messieurs.»
Alors un porte-monnaie s’ouvrait demandant une éponge, donnant le signal aux autres et toutes les bourses se déliaient, le colporteur était débordé. Une frénésie montait autour de lui, on se bousculait pour avoir son éponge, on en demandait, deux, trois. Les clients repartaient heureux d’avoir fait une affaire et rentraient à la hâte chez eux présenter leur achat à leurs conjoints qui inévitablement se moquaient, ironisaient sur leur naïveté ou se mettaient en colère, pestant d’avoir un mari, une épouse aussi stupide qui dépensait sans réfléchir l’argent si durement gagné.
Michel Marrinchio